Assaut de Saint-Denis: «L'Etat comptait sur le découragement des habitants, c'est raté»

TERRORISME Six mois après l’assaut du Raid qui a visé l’immeuble du 48 rue de la République à Saint-Denis, les habitants continuent de se mobiliser pour la reconnaissance de leurs droits…

Hélène Sergent
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Photo du bâtiment à Saint-Denis, dans la banlieue de Paris où les policiers du Raid et de la BRI ont mené l'assaut le 18 novembre 2015
Photo du bâtiment à Saint-Denis, dans la banlieue de Paris où les policiers du Raid et de la BRI ont mené l'assaut le 18 novembre 2015 — ERIC FEFERBERG AFP

« Ça commence vraiment à faire long », soupire le représentant des habitants victimes du 48 rue de la République, N’goran Ahoua. Il y a six mois, dans la nuit du 17 au 18 novembre, ce père d’un petit garçon âgé de deux ans, postait sur son compte Twitter : « Des coups de feux depuis plus de 30mn chez moi à St Denis rue de la république. Ma fenêtre a pris un coup ». Le Dionysien est alors loin de se douter que son immeuble abrite deux terroristes responsables des tueries du 13 novembre, Chakib Akrouh, Abdelhamid Abaaoud et sa cousine, Hasna Aitboulahcen.

Evacués en partie ou pris sous le feu des policiers du Raid qui interviennent jusque dans la matinée du 18 novembre, les habitants de l’immeuble poursuivent toujours leur combat pour une meilleure reconnaissance de leurs droits et un statut de victimes de terrorisme.


Dix-huit sans-papiers régularisés

Les débuts ont été chaotiques. La préfecture, la mairie et l’Etat ont mis du temps avant d’élaborer un plan de relogement et de régularisation des locataires ou sous-locataires en situation irrégulière. Les résultats arrivent au compte-gouttes, après des mois de réunions, de manifestations, et des dizaines de courriers envoyés aux ministères concernés.

Ce mardi 17 mai, la préfecture de Seine-Saint-Denis a annoncé avoir délivré depuis 10 titres de séjour, 8 sont également en cours de fabrication et trois supplémentaires devraient suivre dans la foulée.

En revanche, trois « habitants du 48 » ont vu leur demande refusée. Sans préciser les motifs de ce refus, les autorités ont expliqué que ces personnes « faisaient l’objet d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) avant le dépôt de leur demande », ajoutant que ce détail n’était pas le seul critère qui avait motivé ce refus. Une aberration pour les militants de l’association Droit au Logement (DAL) : « Certaines de ces OQTF ont été distribuées suite à leur interpellation après l’assaut ! ».

Du côté de la mairie de Saint-Denis comme au sein des comités de soutien, on appelle à la régularisation des 24 personnes en situation irrégulière : « On estime que la préfecture pourrait régulariser à titre humanitaire, comme ce fût le cas pour les victimes de l’incendie de l’hôtel Paris-Opéra en 2005 », détaille Stéphane Peu, adjoint en charge des questions d’urbanisme.

Un relogement au cas par cas

Hébergés en urgence par la mairie dans un gymnase de la ville, les habitants du 48 ont ensuite été dispatchés dans les résidences sociales et l’hôtel Campanile en attendant des propositions de relogement. Six mois après, 24 ménages, éligibles aux logements sociaux, soit 94 personnes, ont pu bénéficier d’un nouveau toit a annoncé la préfecture. N’Goran, lui, s’estime « privilégié » : « On a fait partie des dix familles qui ont pu bénéficier d’un relogement rapide parce qu’on avait les moyens financiers et des papiers en règle, mais certains de nos voisins n’ont pas cette chance ».

Parmi eux, un immigré clandestin célibataire s’est retrouvé à la rue avant d’être pris en charge par le 115 il y a quatre jours a indiqué le DAL à 20 Minutes. Une situation insupportable pour Madjid Messaoudene, conseiller municipal Front Gauche chargé de la lutte contre les discriminations et de l’égalité des droits : « Aujourd’hui l’Etat ne veut pas régler la situation de manière globale et comptait sur le découragement de ces gens-là mais c’est raté, il y a un vrai réseau de solidarité. Ce qu’ont subi les habitants du 48 va au-delà du traumatisme. Or en six mois, Valls, Cazeneuve ont eu des mots pour toutes les victimes sauf pour celles de l’assaut de Saint-Denis. C’est vécu comme une forme de mépris, une rupture dans le traitement des victimes de terrorisme ».

L’éternel serpent de mer du statut de victime

Et ce statut, c’est ce que réclament les 45 ménages, familles ou célibataires, qui ont eu la malchance de se trouver dans l’immeuble des djihadistes. Reçus à plusieurs reprises par le secrétariat d’aide aux victimes, les habitants de la rue de la République peinent à convaincre : « Le juge les a qualifiés de "victimes d’une action policière" mais cela ne permet pas, par exemple, une prise en charge psychologique pérenne », déplore Stéphane Peu. Or les stigmates sont immenses. N’Goran reconnaît à demi-mot qu’il préférerait « échanger le temps passé à se mobiliser pour aller voir un psy » et pour « faire suivre » sa famille.

Si la porte n’est pas définitivement fermée du côté du secrétariat d’Etat, Madjid Messaoudene dissimule mal son pessimisme : « Reconnaître que les riverains blessés par une action policière - que la menace terroriste justifiait évidemment- comme victimes de terrorisme reviendrait à ouvrir la boîte de pandore pour le gouvernement ». Ce mercredi matin, les voisins et ex-habitants de la rue de la République se réuniront devant leur ancien immeuble pour continuer à exiger une action rapide et coordonnée de l’Etat. Un rendez-vous devrait se tenir dans la foulée avec les services judiciaires du ministère de la Justice.