Coronavirus : « Le confinement peut causer un fort sentiment de rejet et de culpabilité »
INTERVIEW Comment les habitants de Paca et de Corse supportent-ils l’épidémie et le confinement ? Sandra Dachraoui, psychologue au sein de la cellule régionale d’écoute et de soutien psychologique, nous répond
- Une cellule régionale d’écoute et de soutien psychologique a été mise en place pour les habitants de la région Paca et de la Corse.
- Elle est disponible au 04 97 13 50 03, du lundi au vendredi, de 9 h à 20 h.
- Pour Sandra Dachraoui, un des deux psychologues de la cellule, chacun doit savoir que, « s’il est au fond du trou, il y aura toujours quelqu’un là pour lui ».
L’épidémie de Covid-19 est une source de stress et d’anxiété pour de nombreux Français. S’y ajoute le confinement, vécu différemment par chacun. Pour aider ceux qui rencontrent des difficultés en les écoutant et en les orientant vers le service adapté, le centre régional de psychotraumatisme des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse, le CHU de Nice, la Fondation Lenval, l’Université Côte d’Azur, l’Assistance publique/Hôpitaux de Marseille, le Centre hospitalier de Montfavet et la ville de Nice ont mis en place une cellule régionale d’écoute et de soutien psychologique depuis le 30 mars.
Sandra Dachraoui, docteur en psychologie clinique et hypnothérapeute, est une des membres de l’équipe mobilisée. La professionnelle de 34 ans fait part de son retour d’expérience à 20 Minutes.
Vous recevez entre trente et soixante appels par jour. Dans quel état psychologique se trouvent les personnes qui vous contactent ?
Certaines personnes ont des troubles du sommeil, de l’alimentation ou de l’humeur. D’autres ont des plaintes de type hypocondriaque. Leur histoire personnelle, leurs antécédents et leurs ressources psychologiques influencent le vécu du confinement, qui peut être traumatogène.
Par exemple, le confinement peut causer un fort sentiment d’isolement, de rejet et de culpabilité. Je reçois des appels de soignants en grande détresse qui ont peur de transmettre le virus à leurs patients et à leur famille. Pour d’autres personnes, la première image qui leur vient à l’esprit lorsqu’ils sont à l’isolement, c’est la prison. Ce qui signifie symboliquement qu’ils sont dangereux pour l’autre et qu’ils ont fait quelque chose de mal. D’où le sentiment de culpabilité alors qu’ils sont victimes. Le plus difficile est de sortir de cette vision et nous sommes là pour les aider.
Enfin, il y a beaucoup de questionnements. Combien de temps devrais-je faire cours à mes enfants ? Comment faire pour mon parent en Ehpad ? Comment se passera la sortie du confinement ? Pour certains, c’est l’occasion de partir à l’aventure. Pour d’autres, c’est une grande source d’angoisse.
Vous êtes également psychologue au sein de la Maison pour l’accueil des victimes de Nice. La menace est-elle perçue de la même manière ?
Les situations sont différentes. Lorsqu’il y a eu l'attentat du 14 juillet 2016, l’attaque était claire. On pouvait nommer les choses. Là, l’attaque est invisible. Il y a une suspicion permanente d’être contaminé ou contagieux, ce qui signifie être sous la menace permanente de la mort.
Aussi, dans le cas de l’attentat, il fallait se reconstruire après l’événement. Avec l’épidémie, on est en plein dans l’événement. Dans quelques semaines ou mois, certaines personnes pourront développer un trouble de stress post-traumatique. Nous tentons de les repérer maintenant pour les accompagner après l’épidémie.
De même, on est particulièrement attentifs aux personnes qui ont vécu l’attentat. On sait que les problématiques traumatiques anciennes peuvent se raviver durant cette période.
Lors de ses allocutions, Emmanuel Macron a utilisé le champ lexical guerrier. Quel impact cela peut-il avoir sur la psychologie des Français ?
Ce mot n’est pas sans conséquence sur le vécu de l’épidémie. Lors d’une guerre, la menace de mort est permanente. Ce qui peut générer de la confusion, de la colère, mais surtout de la peur.
Le terme est stratégique car il fait prendre conscience à chacun du rôle qu’il a à jouer. Si je suis en guerre, cela signifie que je suis directement impliqué. Mais quelles sont mes armes ? De manière habituelle, un soldat a ses collègues, il est habitué à se battre en équipe, il est entraîné. Dans le cas du coronavirus, je suis appelé au combat mais avec pour seule arme de rester chez moi… Et puis, parler de guerre, cela signifie qu’il va y avoir un après-guerre, donc que cela va demander une longue reconstruction.
Vous venez de parler de combat en équipe. La solidarité est-elle une note d’espoir à laquelle se raccrocher ?
Oui, c’est l’autre versant de cette période. Les personnes remarquent qu’elles ne sont pas seules. C’est pour cela qu’il est nécessaire de les informer sur les dispositifs de soutien qui existent. Des gens se mobilisent tous les jours. Si je suis au fond du trou, il y aura toujours quelqu’un pour moi. C’est un message important à faire passer.
Que conseillez-vous également aux personnes qui vous appellent ? Et donc aussi à ceux qui lisent cet article ?
Ce que je conseille d’abord, c’est de comprendre qu’il est normal d’avoir des angoisses. On pratique une forme inédite de distanciation sociale, on est confinés, tout est chamboulé. C’est donc normal d’avoir peur.
Toutefois, l’objectif est de ne pas se projeter dans des scénarios catastrophes. Pour cela, on peut limiter les sources d’information anxiogènes. Regarder des infos négatives toute la journée peut conduire à une cristallisation.
Un autre point est de garder une routine qui répond à ses besoins essentiels : garder du lien social, bien manger, bien dormir. Il faut essayer d’avoir un rythme régulier.
Ce que je peux aussi recommander, c’est de profiter de ce temps pour continuer à se faire du bien. Il faut essayer de se centrer sur ce qui est agréable pour apaiser ses angoisses. Certains, par exemple, profitent de cet événement pour se reposer, ce qui peut être salvateur.
Pour contacter la cellule régionale d’écoute et de soutien psychologique, appeler le 04.97.13.50.03. Ce service est accessible durant la période de confinement, du lundi au vendredi, de 9 h à 20 h.