Exclusif. Municipales 2020 à Paris : « Être libre du carcan des appareils politiques est un avantage », assure Villani après son exclusion
INTERVIEW Le candidat marcheur dissident Cédric Villani a répondu aux questions de « 20 Minutes », au lendemain de son exclusion du parti présidentiel
- Cédric Villani est candidat aux municipales à Paris.
- Le marcheur dissident se déclare désormais « libre du carcan des appareils politiques », au lendemain de son exclusion de LREM.
- Misant sur l’écologie, l’ancien mathématicien assure n’avoir « aucune leçon à recevoir » sur le sujet.
« La liberté a infusé toute ma carrière ». Au lendemain de son exclusion de La République en marche, Cédric Villani se livre à 20 Minutes dans un café parisien, ce jeudi matin. Le candidat aux municipales à Paris revient sur cette sanction, son rapport à Emmanuel Macron, l’évolution du pass Navigo, le logement, et même l’univers. Le mathématicien dit aussi n’avoir « aucune leçon à recevoir » en matière d’écologie et ne semble toujours pas prêt à répondre aux appels téléphoniques de Benjamin Griveaux.
Hier soir, La République en marche a acté votre exclusion. Vous n’êtes plus adhérent LREM. Ce matin, vous vous sentez seul ou libre ?
Être libre du carcan des appareils politiques est un avantage aujourd’hui. Ils freinent le débat d’idées, le progrès, l’entente et la nécessaire coordination des acteurs. Ma démarche reste celle d’une personnalité libre.
Cette décision vous a tout de même déçu ?
Ma campagne reste la même, tournée vers les Parisiens et les Parisiennes, sur les questions de démocratie, d’agrandissement de Paris. Et la volonté de résoudre avec rationalité, pragmatisme et ordre, les questions du quotidien. La transition écologique reste aussi l’enjeu numéro un.
Allez-vous accepter désormais de participer à la « grande coalition pour le climat » proposée par le candidat EELV David Belliard ?
Ce que les Parisiennes et les Parisiens attendent aujourd’hui, c’est qu’on ne brouille pas le message de fond avec des discussions sur des alliances. On a besoin aujourd’hui de parler du fond.
David Belliard a fixé trois critères dans Le Figaro pour cette alliance : un « moratoire sur les grands projets de bétonisation », « piétonniser et végétaliser devant les 300 écoles les plus polluées », et de « bloquer les loyers ». Acceptez-vous ces mesures ?
Je ne suis pas là pour commenter, accepter ou refuser les mesures d’autres candidats. Je suis ici pour développer mon programme, mon projet et la particularité de ma candidature, que je détaille aussi dans mon livre.
Vous parlez beaucoup de liberté dans ce livre*…
Paris a besoin de liberté. La liberté de ne pas être soumis aux injonctions, la liberté d’imaginer le futur, la liberté par rapport au pouvoir. J’ai eu besoin de cette liberté de penser en tant que scientifique notamment pour aller contre l’avis de maîtres, de ceux qui m’ont précédé. La liberté a infusé toute ma carrière. Mon rôle est aujourd’hui de permettre à Paris de révéler son potentiel.
Vous dites vouloir devenir le « futur premier maire véritablement écologiste de Paris ». Que proposez-vous ?
Pour moi, l’enjeu est de mettre les sciences, l’innovation au service de l’écologie. L’utilisation d’algorithmes, d’intelligences artificielles, peut aider à concevoir un plan de mobilité.
Grâce à des « modélisations mathématiques » vous allez décongestionner le trafic à Paris ?
Oui, nous allons mettre en œuvre dans tous les domaines les expertises qui peuvent nous être utiles comme l’entretien des voiries et de l’espace public, ou encore la fluidification de la circulation avec la mise en place d’un nouveau logiciel de gestion des feux assisté par intelligence artificielle.
Le vélo est devenu l’un des thèmes majeurs de la campagne. Tous les candidats se positionnent sur la question. Comment comptez-vous vous distinguer ?
Le vélo s’est développé à Paris mais de manière désorganisée et la qualité de service de Vélib' n’est pas au niveau. Mon plan comporte la mise en place du Vélopolitain [un réseau de pistes cyclables proposé par des associations], des initiations au vélo avec un permis cycliste dès le CM2, la création de quartiers apaisés, l’élargissement et la sécurisation des voies, regagner de l’espace sur le stationnement de voitures, le réaménagement de la Petite ceinture, et la gratuité des deux premières heures de Vélib'.
Êtes-vous favorable à la suppression de 60.000 places de stationnement pour en faire des pistes cyclables comme l’a proposé Anne Hidalgo ?
L’ordre de grandeur est le bon mais il ne faut pas que ça serve uniquement aux vélos. Il faut aussi penser au confort des piétons. L’idée n’est pas non plus de mettre un coup de massue sur les automobilistes, d’être contre les voitures, mais de rendre la vie plus simple à tout le monde, en construisant notamment des parkings. Ensuite, Paris doit participer à l’automatisation des lignes du métro, en commençant par les lignes 7, 8 et 13. En réalisant les travaux en 3x8, en fermant les lignes par tronçons pendant 6 semaines pendant des périodes creuses de l’année, nous pourrons gagner du temps et réduire de 25 à 30 % le coût des travaux par rapport à des travaux réalisés chaque nuit. Ainsi, au terme du mandat, avec les lignes 1, 4 et 14 déjà automatisées, la moitié des déplacements en métro à Paris se feront dans des lignes automatisées.
Je prévois dans mon plan d’investissement un milliard d’euros pour l’automatisation et la dépollution des lignes durant le mandat. La Ville de Paris est présente au conseil d’administration d’Ile-de-France Mobilités : il faut sortir de la confrontation stérile avec la Région.
A terme, Paris doit-elle être une ville sans voiture ?
Elle doit être une ville avec beaucoup moins de voitures parce qu’on aura donné à tout le monde des moyens efficaces de s’en passer. Le jour où nous aurons à l’échelle métropolitaine, des transports en commun à niveau, confortables, pas pollués, dans lequel on se sentira mieux, la plupart des automobilistes actuels n’auront plus besoin de leur voiture.
Comment y parvenir ?
Il faut aller plus loin que le pass Navigo. Il nous faut avoir un vrai pass multimodal, comme à Vienne ou à Helsinki par exemple, pour planifier, réserver et payer son trajet, de porte à porte, et utilisant tous les modes de transport, que ce soit le bus, le tram, le métro, l’autopartage, le Vélib, les taxis, aux parkings publics, la location de voiture. La technologie doit permettre des solutions plus flexibles, plus commodes pour les usagers. La révolution des transports, c’est d’avoir toutes les solutions dans sa poche, sur son smartphone.
Comment comptez-vous le mettre en place ?
C’est là qu’il faut passer le relais, aux scientifiques, aux ingénieurs, aux entreprises qui travaillent là-dessus. Ici encore, c’est une question de vision et de méthode.
Vous êtes parfois critiqué sur votre rapport à l’écologie. En septembre, votre récent soutien Isabelle Saporta vous taclait dans le magazine Challenge : « Je veux bien qu’il soit un grand écologiste […] mais là c’est plus "make the blabla great again" », vous reprochant vos absences à l’Assemblée lors des votes sur le Ceta, le glyphosate, l’interdiction des cages, la vidéosurveillance des abattoirs….
A l’époque, elle n’avait de moi que l’image incomplète que peuvent donner les médias. Nous avons eu de longues conversations, nous sommes aujourd’hui en parfait accord. A l’Assemblée, j’étais un des initiateurs du groupe « Accélérons la transition écologique et solidaire ! » [un collectif de députés transpartisan] avec Matthieu Orphelin [député ex-LREM, proche de Nicolas Hulot].
Mon rapport sur l’intelligence artificielle remis au gouvernement était le premier au niveau international à avoir un vrai chapitre consacré à l’écologie, cela m’a valu d’être invité au Bundestag par les Verts allemands. Ces exemples prouvent que je n’ai pas attendu d’être en campagne pour parler d’écologie, bien au contraire. Une écologie qui se base sur la science et la rationalité. Je n’ai donc aucune leçon à recevoir.
Comment expliquer vos absences sur ces votes ?
Le grand enjeu de l’écologie n’est pas tant dans un grand traité international, dans les tuyaux depuis des années, mais comment, on transforme l’agriculture pour mettre en place l’écologie. Par exemple à Paris : je propose dans toutes les cantines un objectif de 100 % bio, de 50 % de circuits courts, avec une alimentation respectueuse de l’environnement.
Autre thématique du scrutin, l’accès au logement pour les classes moyennes et populaires. Que proposez-vous pour leur permettre de se loger dans la capitale ?
Au-delà des questions de contrôle et d’encadrement des loyers, de foncier solidaire mis en place récemment par la mairie, de la nécessité d’augmenter le parc social et réserver des logements pour les classes moyennes ou les personnes qui contribuent à faire vivre le quartier (police, éducation…), il est nécessaire de raisonner à l’échelle métropolitaine, car on n’a très peu de places pour construire dans Paris aujourd’hui.
Il faut donc se résoudre à ce que les classes moyennes n’habitent plus Paris intra-muros, mais vous souhaitez élargir Paris à l’extra-muros ?
Exactement. On a besoin de réfléchir à l’échelle de la couronne si on veut accroître le parc de logements. J’appelle de mes vœux l’agrandissement de Paris pour que des communes limitrophes soient demain de nouveaux arrondissements parisiens. C’est le sens de l’histoire.
N’est-ce pas un constat d’échec de dire : « Vous serez Parisiens, mais en dehors de Paris » ?
Ce sera un progrès énorme quand on aura ce nouveau Paris. La ville est singulière car extrêmement petite. L’autre grande ville monde en Europe est Londres, une ville quinze fois plus vaste que Paris !
Les hausses de loyers, c’est également le sens de l’histoire ?
Je ne le crois pas. Notre devoir est d’encadrer les loyers et de proposer une offre en logements qui soit à niveau par rapport à la demande. Mais ces logements, on ne pourra pas les construire uniquement dans Paris intra-muros. Paris doit participer à des créations de projets immobiliers à l’extérieur de la capitale.
Soutenez-vous encore Emmanuel Macron et l’action du gouvernement ? Vous voterez pour lui en 2022 s’il se représente ?
Est-ce qu’on est ici dans une élection municipale ou nationale ? Que ce soit clair : je suis venu à En marche en 2017 pour accompagner de grandes transformations. Et je suis fier de voir que sur certains sujets, avec d’autres marcheurs engagés, j’ai pu contribuer à faire bouger les lignes. Dans tout ce que le président fera pour faire avancer les choses, aller vers le progrès, bien sûr, j’apporterai mon soutien.
Benjamin Griveaux a indiqué à l’AFP vous avoir appelé lundi. Pourquoi ne pas avoir répondu ni rappelé ?
Est-ce que vous pensez que les Parisiens veulent savoir si untel a appelé untel ? Ce jeu de rôle n’intéresse pas les électeurs. Aux marcheurs, je leur dis que mon engagement a toujours été le même.
On se posait une dernière question, qui n’a rien à voir avec le scrutin. Pensez-vous que l’univers est écrit en langage mathématique ?
C’est une grande question, presque métaphysique, que se posait déjà Galilée. Je suis personnellement convaincu qu’au niveau le plus fondamental, la structure de l’univers, son squelette, est écrit en langage mathématique. Et que la chair en est la réalité physique. Je crois fermement que l’on découvre les vérités mathématiques, qu’on ne les invente pas.
Le Nouveau Paris, Rallumons la Ville Lumière (Flammarion)