Bloc armyFaut-il s’inquiéter de l’envoi de soldats nord-coréens en Ukraine ?

Guerre en Ukraine : Faut-il s’inquiéter de l’envoi de soldats nord-coréens sur le champ de bataille pour aider Moscou ?

Bloc armyL’arrivée supposée de soldats nord-coréens en Ukraine, afin de soutenir la Russie, envoie un signal inquiétant pour les alliés de Kiev sur la constitution d’une alliance des dictatures et une extension du conflit vers l’Est
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • Le renseignement sud-coréen a affirmé vendredi que la Corée du Nord avait décidé d’envoyer jusqu’à 12.000 soldats pour aider la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine, et que 1.500 militaires nord-coréens s’entraînaient déjà dans l’Extrême-Orient russe.
  • Ce transfert présumé montre que Moscou cherche une « guerre plus grande et plus longue », estime Kiev.
  • Une telle alliance entre Moscou et Pyongyang inquiète au-delà des frontières ukrainiennes.

Quelque 12.000 hommes supplémentaires parmi les 520.000 Russes engagés dans la guerre en Ukraine, c’est une goutte d’eau dans l’océan. Pourtant, ces soldats prêts à être envoyés par la Corée du Nord, selon les informations divulguées par sa voisine du Sud (mais démenties par Pyongyang), constituent une « escalade significative » dans le conflit et au-delà, selon le nouveau secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte. Environ 1.500 combattants seraient d’ailleurs déjà à l’entraînement sur le sol russe.

Cette nouvelle ligne franchie par Moscou n’inquiète pas seulement les Ukrainiens mais aussi la Corée du Sud, et plus largement l’alliance occidentale. Car ce renfort octroyé à la Russie, « c’est une extension » vers l’Est de la guerre qui frappe aux portes de l’Europe, souligne Nicolas Tenzer, spécialiste des questions stratégiques et internationales, enseignant à Sciences Po, auteur de Notre guerre (L’observatoire). Un élargissement qui a « des effets déstabilisateurs sur la sécurité mondiale qui vont bien au-delà de la guerre en Ukraine », ajoute Alexander Lipke, coordinateur du programme Asie au Conseil européen des relations étrangères (ECFR).

Un front ukrainien fragilisé

Cette aide potentielle apportée à Moscou est d’abord une mauvaise nouvelle pour Volodymyr Zelensky et son armée. La lutte est acharnée sur le front, où l’armée russe continue de grignoter du terrain sur le flan est, annonçant chaque semaine la prise d’un village supplémentaire. Des gains minimes mais qui pourraient gagner en importance avec l’appui de milliers d’hommes supplémentaires. Même si « ce ne sera pas un changement déterminant dans les combats, ce n’est pas négligeable et cela rend les objectifs russes plus atteignables », développe Nicolas Tenzer.

D’autant qu’on ne connaît pas les détails du traité d’assistance mutuelle signé entre Moscou et Pyongyang en juin dernier. On ne peut pas exclure que davantage de soldats nord-coréens foulent le sol ukrainien sous le drapeau du Kremlin. Ce ne sont pas les quantités qui manquent. L’armée sous les ordres de Kim Jong-un est considérée comme la quatrième plus grande du monde, forte de 1,2 million de soldats et 8 millions de réservistes, et de stocks d’armes colossaux avec au moins 13 brigades de missiles, d’après des chiffres publiés en 2017 et en 2021.

Reste la question de savoir ce qu’ils vont faire une fois sur place. « Est-ce que les Russes vont leur déléguer une zone dans un terrain qui leur est inconnu, ou est-ce qu’il va y avoir un encadrement par l’armée russe qui poserait le problème de la communication, les soldats nord-coréens ne partageant pas la même langue ? », s’interroge Nicolas Tenzer.

La menace d’une nouvelle guerre des Corées

Ce possible envoi de troupes en Russie et ce qu’il signifie pour « l’état de préparation de l’armée nord-coréenne à une guerre sur la péninsule », est forcément une source de préoccupation profonde pour Séoul, note Alexander Lipke. Ces soldats, jusqu’ici peu (voire pas du tout) expérimentés au combat, qui sortent pour la première fois de leurs frontières pour aller combattre, seront ainsi formés et gagneront en savoir-faire. Ce déploiement permettra aussi « de tester la qualité de l’armement nord-coréen dans un scénario de guerre réel », souligne encore le chercheur.

Autre question inquiétante pour la Corée du Sud : qu’obtient Pyongyang en échange de ce soutien de la part de Moscou ? Au-delà d’une aide alimentaire, le régime de Kim Jong-un pourrait recevoir une aide militaire. « La crainte est que Pyongyang exige un prix élevé pour l’envoi de troupes en Russie, impliquant éventuellement un transfert de technologie susceptible de contribuer au développement des programmes de missiles et d’armes nucléaires de la Corée du Nord », abonde Alexander Lipke.

Peur sur le monde

La Corée du Sud observe donc d’un œil inquiet ce voisin belliqueux intégrer une alliance plus large, sortant de son isolement diplomatique. Jusqu’ici, « l’Europe et l’Otan n’ont jamais sérieusement envisagé la menace directe que la Corée du Nord peut faire peser sur la sécurité européenne. Cela a maintenant changé », estime également Alexander Lipke. « Un Etat agresseur fait appel à un autre Etat pour le soutenir, c’est un élargissement du conflit », plussoie Nicolas Tenzer, selon qui la Chine n’a, a minima, pas cherché à bloquer la manœuvre.

La Corée du Nord fournissait déjà des missiles à la Russie, comme l’Iran envoie des drones pour soutenir son allié slave. On assiste ainsi à la « solidification d’un bloc plus ou moins cohérent qui englobe la Chine, la Russie, la Corée du Nord et l’Iran, des États qui contestent l’ordre mondial actuel dirigé par les États-Unis et qui cherchent à le remodeler selon leur vision », développe Alexander Lipke.

Notre dossier sur la guerre en Ukraine

Ces informations sud-coréennes « mettent en lumière la disproportion des deux alliances », avec d’un côté ce bloc des régimes autoritaires qui fonctionne « et celui des pays démocratiques » qui faiblit, alerte Nicolas Tenzer. Sans réaction claire et déterminante, les soutiens de l’Ukraine risquent d’envoyer « un signal à la Russie, à la Chine, à l’Iran, à la Corée du Nord : ayant les mains libres, ils n’auraient plus de raison d’hésiter à passer à l’acte », craint le spécialiste des questions stratégiques et internationales.