Guerre en Ukraine : Le soutien « sans faille » de la Pologne est-il en train de voler en éclats ?

Tensions La Pologne, pourtant alliée de l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe, est en très mauvais termes avec Kiev

Diane Regny
Un fossé semble à présent séparer l'Ukraine (ici Volodymyr Zelensky à gauche) et la Pologne (ici Premier ministre Mateusz Morawiecki) pourtant alliées.
Un fossé semble à présent séparer l'Ukraine (ici Volodymyr Zelensky à gauche) et la Pologne (ici Premier ministre Mateusz Morawiecki) pourtant alliées. — Michal Dyjuk/AP/SIPA
  • Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, la Pologne a soutenu Kiev. Varsovie abrite officiellement près d’un million de réfugiés ukrainien et a alloué 4,27 milliards d’euros à l’aide à l’Ukraine.
  • Toutefois, de fortes tensions divisent aujourd’hui Kiev et Varsovie. Les deux pays se déchirent notamment sur la question du grain, alors que la Pologne a prolongé son embargo sur les céréales ukrainiennes, malgré la décision de l’Union européenne d’y mettre fin.
  • Les déclarations acerbes se multiplient entre les deux pays alliés, au risque de voir leur amitié voler en éclat.

L’Ukraine et la Pologne vivent-elles un désamour durable ? Les deux pays se déchirent sur la question des céréales, enchaînent les déclarations virulentes et, point d’orgue de cette explosion des tensions, Varsovie a annoncé mercredi soir cesser tout envoi d’armes à Kiev. Un fossé semble à présent séparer l’Ukraine de son voisin.

Pourtant, le pays d’Europe de l’Est s’est imposé comme l’un de ses plus fervents alliés dès le début de l’invasion russe, en février 2022. « Jusqu’ici, le soutien de la Pologne était sans faille », abonde Dorota Dakowska, professeure de science politique à Sciences po Aix, spécialiste de l’Europe centrale et orientale. Varsovie a ouvert grand les bras et les frontières, accueillant plus de 15 millions d’Ukrainiens, dont près de 960.000 sont officiellement réfugiés en Pologne. Le pays limitrophe a aussi « consacré 20 % de son budget militaire à l’Ukraine », rappelle Dorota Dakowska.

La « peur d’être la prochaine victime de Poutine »

En retirant les livraisons d’armes à Kiev, Varsovie illustre l’ampleur de son mécontentement mais aussi, en filigrane, son inquiétude. « Nous nous concentrons principalement sur la modernisation et l’armement rapide de l’armée polonaise, afin qu’elle devienne l’une des armées terrestres les plus puissantes d’Europe, et ce dans un délai très court », expliquait le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki jeudi soir. En faisant ce type de déclarations, le parti Droit et justice (PiS) veut montrer qu’il est « la seule force politique qui peut garantir la sécurité de la Pologne », explique Pawel Zerka, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales.

« Il y a beaucoup de nervosité des deux côtés. L’Ukraine joue sa survie, évidemment, et la Pologne se demande si son armée est prête. Elle a peur d’être la prochaine victime de Vladimir Poutine », analyse de son côté Dorota Dakowska. En mai dernier, la découverte d’un missile de croisière russe Kh-55 a provoqué une tempête politique dans le pays. La population polonaise est fébrile, aux premières loges du désespoir des Ukrainiens dont le quotidien a été balayé en une nuit. Or, le gouvernement polonais est particulièrement attentif à l’opinion populaire.

La « pensée électoraliste » polonaise

Le 15 octobre se tiendront les élections parlementaires qui pourraient remettre en question la majorité du PiS, aujourd’hui au pouvoir. « Le gouvernement polonais vit une tension entre une pensée stratégique, tournée vers la sécurité polonaise, et une pensée électoraliste », note Pawel Zerka, qui a travaillé dans deux think tanks polonais, demosEUROPA-Centre for European Strategy et WiseEuropa.

« La politique intérieure joue un rôle crucial, le gouvernement pourrait être obligé de constituer une coalition avec Confédération, un parti encore plus à l’extrême droite et encore plus nationaliste », renchérit Dorota Dakowska. Dans l’espoir de ne pas laisser le pouvoir lui glisser entre les doigts, le gouvernement polonais multiplie les signaux à l’encontre des électeurs mécontents. A leur tête figurent les agriculteurs, que le gouvernement tente de protéger.

Un grain dans l’engrenage du soutien

En mai, l’Union européenne a annoncé la fin de l’interdiction d’importer les céréales ukrainiennes. Alors la Pologne ainsi que la Slovaquie et la Hongrie ont décidé de mettre en place des embargos unilatéraux. « Les intérêts de la campagne polonaise sont les plus importants pour nous », a martelé le gouvernement polonais dans un communiqué. Dans ce contexte électoral délicat, les assauts ukrainiens ont été très mal reçus par le gouvernement polonais.

Kiev a déclaré avoir porté plainte auprès de l’OMS après l’embargo de ses céréales. Or, depuis que l’accord garantissant l’exportation de céréales ukrainiennes en mer Noire a été enterré par la Russie, la voie terrestre - en particulier par la Pologne - ressemble au dernier recours du grain ukrainien. Reste que « le gouvernement polonais a trouvé très dur d’évoquer un procès sans discuter avant, alors que l’Ukraine doit beaucoup à la Pologne », décrypte Dorota Dakowska.

Mardi, le ton s’est envolé. Volodymyr Zelensky a fustigé devant l’ONU ces « pays [qui] feignent la solidarité [à l’égard de l’Ukraine] en soutenant indirectement la Russie ». Outrée par cette déclaration, la Pologne a convoqué « d’urgence » l’ambassadeur d’Ukraine. « Ces propos sont assez ambigus mais ils peuvent facilement être interprétés comme une critique très ouverte de la Pologne », souligne Pawel Zerka. Avant de glisser : « C’est maladroit mais Zelensky a de nombreux soucis, notamment sur le front de la guerre [où la contre-offensive patine], il ne faut donc pas attendre de lui qu’il prenne systématiquement en compte les sensibilités politiques de ses partenaires politiques. »

Une relation « loin d’être irréparable »

« Tout le monde aurait intérêt à calmer le jeu en termes de communication car la situation n’est profitable ni pour l’Ukraine ni pour la Pologne », prévient toutefois Dorota Dakowska. Les deux alliés l’ont d’ailleurs peut-être rapidement compris. Au lendemain de sa déclaration sur les livraisons d’armes, Varsovie a précisé qu’elle honorerait les commandes « convenues antérieurement ». De plus, « le pays va rester une base logistique centrale pour l’Ukraine car l’approvisionnement qui vient d’autres pays va continuer à transiter par la Pologne », souligne Pawel Zerka.

Ce jeudi, Kiev et Varsovie ont troqué la partition martiale pour des notes plus consensuelles. Les deux ministres de l’Agriculture se sont rencontrés et ont annoncé des discussions « dans les prochains jours », notamment sur la question des céréales. Une nouvelle pleine d’espoir car la relation bilatérale « est loin d’être irréparable » pour l’instant, selon Pawel Zerka. Il suffit de lâcher un instant costume de campagne d’un côté et éternel treillis de l’autre.