Guerre en Ukraine : Quand les drones de loisir deviennent des armes de guerre
Bidouille Peu onéreux, performants et faciles à utiliser, les drones civils de loisir ont été rapidement adoptés par l’armée ukrainienne pour mener des opérations de renseignement mais aussi, en les bricolant un peu, des opérations de combat
- Un an après le début de la guerre en Ukraine, 20 Minutes est plus que jamais mobilisé pour vous informer sur le conflit. Du 22 au 28 février, la rédaction vous propose des reportages, analyses, témoignages, vidéos, podcasts pour rendre compte du quotidien des civils, de la situation militaire sur le terrain, du jeu diplomatique.
- Depuis le début du conflit, de nombreuses vidéos de combats filmées par des drones civils sont diffusées sur les réseaux sociaux. Des drones de loisirs, utilisés par les soldats ukrainiens pour des missions de reconnaissance mais aussi en tant que véritables armes de guerre.
- Ces appareils, bidouillés par les soldats sur le terrain, ont prouvé leur efficacité à l’État-major ukrainien qui a commencé à intensifier leur utilisation, notamment en créant une flotte de mille drones kamikazes.
Du loisir à la guerre, il n’y a qu’un bout de scotch. Apparus il y a une quinzaine d’années, les drones de loisir ont connu un essor fulgurant, tant au niveau des innovations technologiques développées, qu’à celui de leur appréhension par la cible des constructeurs : le grand public. Les systèmes embarqués permettent aujourd’hui à n’importe qui de piloter facilement ces machines et leur industrialisation en masse met ces petits bijoux à la portée de toutes les bourses. Il n’en fallait pas davantage pour éveiller l’intérêt des militaires. Ainsi, en Ukraine, les drones de loisir ont trouvé toute leur place entre les mains des soldats de Volodymyr Zelensky, transformés en redoutables armes de guerre avec du scotch et de la ficelle.
Difficile de scroller sur les réseaux sociaux sans tomber sur des vidéos de soldats ukrainiens manipulant des petits drones de loisir ou des images capturées par les caméras embarquées de ces appareils civils sur le champ de bataille. Des images parfois dures, sur lesquelles on voit des corps exploser sous l’impact d’une grenade surgie de nulle part, larguée par le même drone qui filme aussi la scène. Ces vidéos, que TikTok ne censure étrangement pas, ont d’ailleurs fait réagir le constructeur chinois DJI, leader mondial des drones de loisir : « Nous sommes la seule entreprise de drones à dénoncer clairement et à décourager activement l’utilisation de nos produits au combat », assure l’entreprise à 20 Minutes. Un préjudice pour son image que DJI a sanctionné par « une suspension » de ses activités en Ukraine et en Russie depuis avril 2022, toujours en vigueur aujourd’hui.
« Les Ukrainiens passent leur temps à innover »
Pour autant, les drones DJI, les plus utilisés par les militaires ukrainiens, n’ont pas disparu du champ de bataille. Alors que Mykhailo Fedorov, le ministre de la transformation digitale ukrainien, interpellait DJI pour dénoncer l’utilisation de ses produits par l’armée russe, en parallèle, son ministère mettait en ligne la plateforme « Army of drones » en collaboration avec le Congrès mondial ukrainien. Il s’agissait de lever des fonds « pour acheter 200 systèmes de drones professionnels sans pilote pour la reconnaissance aérienne » afin de « soutenir une réponse efficace aux attaques ennemies ». Outre récolter de l’argent, cette plateforme indiquait aussi comment envoyer directement un drone à l’armée ukrainienne. Le projet « Army of drones » a permis l’achat de plus de 1.400 drones depuis juillet 2022, notamment des modèles Mavic 3, Matrice RTK 300 et M300 de chez DJI.
L’institutionnalisation de l’utilisation des drones de loisir sur le champ de bataille par le gouvernement ukrainien est sans doute née d’initiatives personnelles des soldats. Les vidéos postées au début du conflit montrent des hommes de Volodymyr Zelensky accrocher des grenades à main ou de petits obus sous leurs drones à l’aide de système de fortune : « C’est de la bidouille, de l’adaptation, et ça, les soldats ukrainiens le font très bien », explique Vincent Desportes, ancien militaire de l’école de guerre et enseignant en stratégie à Sciences Po Paris. Pour lui, les conflits sont un terrain propice à l’innovation : « Il y a une grande différence de conviction entre les Ukrainiens et les Russes. Les Russes ne savent même pas pourquoi ils se battent alors que les Ukrainiens passent leur temps à innover, encouragés par leur hiérarchie. »
Ce que Vincent Desportes qualifie de « retour d’expérience » des initiatives sur le terrain est particulièrement positif côté ukrainien concernant l’atout que constituent les drones. A tel point que « Kryla », l’unité spéciale de la direction du renseignement du ministère de la Défense, a souhaité créer une flotte de 1.000 drones kamikazes FPV. « Ce type de drones est devenu un moyen de combat véritablement révolutionnaire. […] Ils sont littéralement utilisés comme armes de tireur d’élite à une distance pouvant atteindre 10 kilomètres », explique Kryla dans une vidéo de démonstration. Des centres de formation de télépilotes ont même ouvert du côté de Kiev, dispensant des cours gratuits sur des appareils DJI aux militaires, comme le souligne le site Numerama. Au grand dam du leader chinois du drone qui plaide pour un « usage civil uniquement » de ses appareils. Pour autant, alors que cela reste techniquement possible, DJI n’a pas mis en place un géorepérage qui empêcherait à ses drones de voler en Ukraine.