Guerre en Ukraine : La suspension du traité New Start par la Russie, une « marque de défiance » mais pas une menace

GROS BRAS Vladimir Poutine espère pousser l’Occident à réclamer des négociations, mais ne prévoit pas plus d’utiliser ses armes nucléaires

Xavier Regnier
Dans son discours mardi, Vladimir Poutine s'est montré très offensif contre l'Occident. Avant d'honorer les soldats se battant en Ukraine devant le stade Loujniki de Moscou, ce mercredi.
Dans son discours mardi, Vladimir Poutine s'est montré très offensif contre l'Occident. Avant d'honorer les soldats se battant en Ukraine devant le stade Loujniki de Moscou, ce mercredi. — Sergei Fadeichev/TASS/Sipa USA/S
  • Mardi, à l’occasion d’un discours à la nation russe, Vladimir Poutine a annoncé que Moscou suspendait sa participation au traité New Start sur le désarmement nucléaire.
  • Ce traité bilatéral entre les Etats-Unis et la Russie, signé en 2010 et prolongé jusqu’en 2026, prévoit une limitation du nombre de têtes nucléaires prêtes à être employées et des visites d’installations nucléaires par l’autre partie.
  • Pour Isabelle Facon, maîtresse de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, et Philippe Migault, chercheur à l’Iris et co-fondateur de l’institut Brenus, interrogés par 20 Minutes, cette annonce ne change pas nécessairement le niveau de menace d’utilisation d’armes nucléaires en Ukraine.

Un discours fleuve, une grande hostilité vis-à-vis de l’Occident, et une décision. « Je suis dans l’obligation d’annoncer que la Russie suspend sa participation au traité New Start », a lancé le président russe Vladimir Poutine, à l’occasion d’une adresse à la nation presque un an après le début de la guerre en Ukraine. Aussitôt, les condamnations pleuvent dans l’Otan, entre « grave erreur », décision « irréfléchie » et regrets.

Mais que dit ce traité de désarmement nucléaire ? Pourquoi Vladimir Poutine n’en sort-il que temporairement ? Faut-il y voir une plus grande menace d’un recours aux armes nucléaires en Ukraine ? 20 Minutes fait le point avec deux experts.

C’est quoi le traité New Start ?

« C’est un traité du bon vieux temps, quand Barack Obama voulait remettre à plat les relations de Washington avec Moscou », lance Philippe Migault, chercheur à l’Iris et co-fondateur de l’institut Brenus. Signé en 2010 entre les deux principales puissances nucléaires, ce traité prévoit « de réduire de 30 % le nombre de têtes nucléaires utilisables », avec une limite de 1550, à bord de « 800 missiles ou bombardiers ». Ce qui laisse « largement de quoi détruire plusieurs fois la Terre », souligne le chercheur. L’un des points centraux du traité est que la Russie peut visiter et contrôler les installations américaines, et vice-versa.

L’idée, pour le président américain, est alors de « donner un signal » en montrant que « les puissances nucléaires sont bien engagées sur la voie du désarmement » pour relancer la dynamique de non-prolifération, explique Isabelle Facon, maîtresse de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. La partie russe est alors ouverte à la négociation d’un nouveau traité car « cela donne une visibilité sur l’arsenal nucléaire de l’autre puissance », mais aussi parce que « ces négociations bilatérales avec les Etats-Unis sur ce sujet sont un des éléments qui appuient l’idée que la Russie est une grande puissance ».

A l’origine, le traité expirait en 2021. Mais, dans un contexte de relations déjà très dégradées, New Start a été prorogé jusqu’en 2026 début 2021 puis « Joe Biden et Vladimir Poutine se sont rencontrés à Genève » en juin 2021 et ont réitéré à cette occasion leur souci d’entretenir le dialogue sur ce sujet. Un petit miracle.

Pourquoi la Russie veut-elle suspendre le traité ?

Si la Russie a annoncé la « suspension » de sa participation au traité, le ministère russe des Affaires étrangères a rapidement précisé qu’elle continuerait de respecter la limitation de son arsenal nucléaire. Mais selon Moscou, « les Etats-Unis veulent faire subir à la Russie une défaite stratégique, ce qui selon les Russes modifie considérablement l’environnement de la mise en œuvre du traité », détaille Isabelle Facon. Du point de vue du Kremlin, la livraison d’armes « de plus en plus lourdes » à l’Ukraine contrevient à ce point. « Des bases stratégiques, avec des bombardiers, ont déjà été bombardées, comme celle d’Engels le long de la Volga », illustre Philippe Migault. Et comme, selon lui, « l’Otan accorde déjà toute l’aide de ses services de renseignements à l’Ukraine, la Russie ne va pas lui faciliter la tâche en acceptant des visites américaines sur ses bases ».

La confusion des genres entre l’Otan et les Etats-Unis est d’ailleurs pointée du doigt par Moscou, après « un communique de l’Otan du 3 février qui dénonce que la Russie n’accepte plus les inspections », relève Isabelle Facon. Or, le traité est bilatéral, et « cela fait un moment que Moscou demande à réfléchir à intégrer le potentiel nucléaire des trois puissances nucléaires de l’alliance » dans les réflexions sur un nouveau traité. Ainsi, Vladimir Poutine peut utiliser sa rhétorique habituelle du « renversement de responsabilité, en affirmant "ce n’est pas nous qui avons changé les conditions" du traité », décrypte-t-elle.

Cette décision renforce-t-elle le risque de voir la Russie employer des armes nucléaires ?

Pour les deux experts interrogés par 20 Minutes, le niveau de menace ne change pas avec cette annonce. « C’est une marque de défiance, mais le risque de s’aggrave pas », avance Philippe Migault, qui évoque un « terrain du symbolique ». « Le traité New Start porte sur les armes stratégiques, alors qu’en Ukraine on craint plus le possible emploi d’armes non-stratégiques », pointe Isabelle Facon.



Selon elle, l’objectif est surtout de « stimuler ceux, côté occidental, qui poussent pour aller rapidement à la table des négociations » pour éviter l’escalade. Le tout dans un contexte où la Russie « occupe d’importants territoires en Ukraine » mais ne parvient plus à avancer. D’autant qu’en décrétant une suspension plutôt qu’un retrait total, le Kremlin « laisse la porte ouverte à un retour dans le traité » si « les conditions s’y prêtent », autrement dit si Washington arrête de soutenir militairement l’Ukraine.