Guerre en Ukraine : Entre Londres et Bruxelles, la « guéguerre » à qui sera le meilleur allié de Kiev

Bataille de com' Alors que le Brexit est encore frais, le Royaume-Uni veut montrer qu’il est capable d’être un allié puissant

Xavier Regnier
A Bruxelles, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a serré la main d'Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et de Charles Michel, président du Conseil européen.
A Bruxelles, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a serré la main d'Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et de Charles Michel, président du Conseil européen. — KENZO TRIBOUILLARD / AFP
  • Mercredi, Volodymyr Zelensky s’est rendu à Londres puis à Paris, avant de rejoindre Bruxelles ce jeudi. Les deux premiers déplacements avaient été tenus secrets jusqu’au dernier moment.
  • A chacun de ses alliés, le président ukrainien a adressé ses remerciements, rappelé les liens entre l’Ukraine et son interlocuteur, et demandé plus d’armes pour lutter contre l’armée russe.
  • S’ils soulignent tous que « le président ukrainien est dans son rôle », plusieurs experts décryptent pour 20 Minutes les dessous d’une « concurrence diplomatique » entre Bruxelles et Londres, qui vire à la « guéguerre » et pourrait mal tourner.

Le timing prêtait à sourire. A peine Volodymyr Zelensky avait-il posé le pied sur le sol britannique, mercredi en fin de matinée, qu’Olaf Scholz prenait la parole devant les députés allemands. « L’Ukraine appartient à l’Europe, son avenir est dans l’Union européenne ! », lançait-il. Une heure plus tard, le président ukrainien remerciait inlassablement les parlementaires britanniques et insistait sur l’amitié entre l’Ukraine et le Royaume-Uni, avant de demander des avions de chasse.

C’est la nouvelle étape des négociations entre Kiev et ses alliés occidentaux, après l’envoi de casques et de gilets pare-balles au début du conflit, puis de munitions, d’armes létales, de canons César, de défense anti-aérienne et bientôt de chars lourds. Mois après mois, Américains, Britanniques et Européens ont fait monter les volumes. « Volodymyr Zelensky est dans son rôle, il doit obtenir un maximum d’armes le plus vite possible et joue sur la surenchère » à laquelle se livrent les Occidentaux, analyse pour 20 Minutes Jean de Gliniasty, directeur de recherches à l’Iris et ancien diplomate, auteur de La Russie, un nouvel échiquier (Ed. Eyrolles, 2022).

Une « guéguerre » portée par le Royaume-Uni ?

Car « il y a la guerre en Ukraine, qui est dramatique, et la guéguerre déplorable à qui sera le plus proche de Zelensky », dénonce Federico Santopinto, directeur de recherches à l’Iris. Selon lui, dès que les Européens discutent de l’opportunité d’envoyer un type d’armes en Ukraine, « les Britanniques essaient d’anticiper et d’aller plus vite que les autres pour montrer qu’ils sont indépendants ». Cette « concurrence diplomatique », le chercheur à l’Ifri et rédacteur en chef de Politique étrangère Dominique David l’explique à 20 Minutes via quatre éléments : « un choix stratégique de la Grande-Bretagne d’avoir une place diplomatique spécifique en Europe centrale depuis des années, une volonté de se démarquer de l’Union qu’elle vient de quitter, une certaine obsession anti-russe, et enfin une volonté de coller à la ligne des Etats-Unis ».

Mais cette « rivalité stratégique » serait-elle seulement alimentée par le Royaume-Uni ? « On ne s’inscrit pas dans cette optique-là. Les sanctions sont toujours coordonnées avec nos partenaires internationaux, nous avons organisé un sommet UE-Ukraine la semaine dernière et la présidente est allée quatre fois à Kiev. On est dans un dialogue constant », défend une source à la Commission européenne. « Les deux entités ont des agendas différents », équilibre Jean de Gliniasty. « Le gouvernement britannique veut montrer qu’il a une politique étrangère dynamique et autonome. En Europe, on se soucie surtout d’arriver à un accord de paix », explique-t-il.

Une surenchère « dangereuse et irresponsable »

Dans ce « concours » à distance, quelles sont les forces en présence ? D’un côté, il y a la « hiérarchie Atlantique », que Volodymyr Zelensky respecte scrupuleusement. Après une première visite aux Etats-Unis, incontournable allié, il est allé au Royaume-Uni, « le deuxième pays le plus important de l’Otan ». Puis à Paris, « qui a une primauté en matière de défense » européenne, décrypte Federico Santopinto. De l’autre, on retrouve « les vrais pourvoyeurs d’armes, qui restent l’UE et les Etats-Unis. L’armée britannique est exsangue et n’a pas les F-16 que demande Zelensky », rappelle Jean de Gliniasty.

D’ailleurs, le Royaume-Uni est « très allant verbalement, mais sans doute moins dans la réalité », souligne Dominique David. L’Europe se montre en revanche plus « réticente », concentrée sur les « questions de fond », dixit Jean de Gliniasty. Et « sous un discours commun de soutien à l’Ukraine, il y a des divergences sur les décisions concrètes » car l’Union reste composée de 27 pays ayant leurs propres intérêts, relève Dominique David.



Reste que si Londres ne peut rien contre le désir ukrainien de rejoindre l’UE, la surenchère dans l’envoi d’armes pourrait s’avérer néfaste. « Cette course au premier arrivé, c’est dangereux et irresponsable. Lorsque des pays décident de soutenir un pays en guerre, ils doivent le faire avec une certaine discrétion. Là, on dit combien de chars on envoie, où et à quelle heure... C’est absurde », critique Federico Santopinto, réclamant plus de « raisonnement commun ». Et si Vladimir Poutine sait où et quand bombarder les armes fraîchement livrées, pas certain que Volodymyr Zelensky dise encore « merci » très longtemps à ses alliés empressés.