Guerre en Ukraine : Les trêves de Noël sont des « parenthèses qu’il ne faut pas idéaliser »

Entracte En Ukraine, des fraternisations semblent peu probables mais ces trêves officieuses se sont fréquemment produites au cours de l’histoire guerrière

Diane Regny
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Un commandant d'artillerie ukrainien est assis dans la région de Donetsk (gauche) et un militaire russe s'entraîne en Biélorussie (droite). (MONTAGE PHOTO)
Un commandant d'artillerie ukrainien est assis dans la région de Donetsk (gauche) et un militaire russe s'entraîne en Biélorussie (droite). (MONTAGE PHOTO) — Canva
  • Les trêves dans les guerres, particulièrement celles de Noël 1914, ont été largement médiatisées au début du XXIe siècle.
  • Ces moments de fraternisation ont ponctué les deux guerres mondiales et offert des respirations aux soldats écrasés par l’horreur des massacres.
  • Officiellement, en Ukraine, il n’est pas question d’instaurer une trêve mais ces « parenthèses » ne sont jamais choisies par la hiérarchie militaire…

« J’étais heureux de vous connaître. Peut-être, dans d’autres circonstances, on aurait pu… ? », s’interrogeait l’officier allemand Horstmayer dans le film Joyeux Noël de Christian Carion qui dépeint les fraternisations lors de la Première Guerre mondiale. Les trêves dans les guerres, particulièrement celles de Noël 1914, ont été largement médiatisées au début du XXIe siècle.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février dernier, les deux pays se mènent une guerre tenace sur le terrain, mais aussi à travers des bombardements et ou des attaques de drones. Mais, à l’approche des fêtes de fin d’année, l’idée d’une trêve dans ce conflit qui bouleverse l’Europe pourrait avoir les contours d’un rêve. Kiev fait de la victoire contre la Russie « l’espoir » de Noël. De son côté, le Kremlin a assuré mi-décembre qu’aucune trêve de Noël ou de Nouvel an n’était « à l’ordre du jour ». En tout cas, pas officiellement.

« La trêve fait partie du conflit »

Pourtant, dans l’horreur des guerres, des respirations s’installent parfois. Des hommes déposent un instant les armes, échangent du tabac contre des denrées alimentaires ou, même, disputent un match de football entre les tranchées. « Les fraternisations, ce sont les rencontres éphémères de petits groupes, des moments très ponctuels et mystérieux, perçus par la hiérarchie comme des actes d’intelligence avec l’ennemi », explique Odile Roynette, professeure d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne.

« Depuis le Moyen Age, la trêve fait partie du conflit. De tout temps, il y a eu des fraternisations, des moments où les soldats essayaient de faire baisser le niveau de violence qu’ils subissaient », raconte Nicolas Offenstadt, historien français. Car l’expérience du feu est d’une violence inouïe pour les soldats, particulièrement ceux qui ne sont pas des professionnels de la guerre, comme les 300.000 Russes mobilisés en septembre et dont bon nombre ont été envoyés sans entraînement sur le front.

Les fraternisations « ne sont pas réservées à Noël »

Pour que des moments de fraternisation aient lieu, plusieurs conditions doivent toutefois être réunies. « Il faut que le front soit stable, afin que les deux camps ennemis se retrouvent dans une situation de vie quotidienne à très grande proximité, il faut que les soldats se reconnaissent non plus comme étrangers mais une même humanité qui survit dans des conditions terribles et qu’une forme de lassitude de la guerre s’installe », énumère Odile Roynette, professeure d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne. Des conditions qui ne sont pas remplies en Ukraine, où les fronts ne sont pas encore figés et où les soldats, équipées d’armes pouvant tirer à plusieurs kilomètres de distance, restent éloignés de la vie quotidienne de leurs ennemis.

Ukrainiens et russes partagent le même amour de Noël, qu’ils fêtent le 24 décembre ou le 7 janvier, selon qu’ils soient catholiques ou orthodoxes. « Les fêtes religieuses sont des moments de fraternisation privilégiés. La fête de Pâques a été un grand moment de fraternisation aussi pendant la Première Guerre mondiale », souligne la spécialiste des mondes militaires Odile Roynette. Toutefois, l’approche de Noël pourrait ne pas avoir la portée symbolique et décisive qu’on lui prête. « Les fraternisations et les trêves ne sont pas réservées à la fête de Noël, il y en a tout le temps. Noël 1914 a été une forme d’apothéose de phénomènes qui ont existé tout au long de la guerre », précise d’emblée Nicolas Offenstadt, coauteur de La Grande Guerre : Le carnet du centenaire (éditions Albin Michel).

Le « refus du massacre »

Durant la Première Guerre mondiale, une myriade de fraternisations d’ampleurs très variables ont été attestées. « Tant qu’on pouvait éviter de risquer sa vie, on l’évitait. Parfois, les soldats se prévenaient en amont avant de tirer. Parfois, il s’agissait d’entente tacite afin que chacun vaque à ses occupations sans se faire tuer. En 1916, des soldats sont sortis des tranchées inondées par la pluie pour enlever la boue », illustre Nicolas Offenstadt. Une forme de « refus du massacre » pas de « refus de combattre », résume Odile Roynette.

Mais petites ou grandes, les fraternisations avec l’ennemi restent dangereuses pour les soldats. Même s’ils « n’impliquent pas l’arrêt des combats, mais seulement une pause dans l’activité guerrière », ces moments sont « sévèrement censurés par la hiérarchie militaire », explique l’historienne. « Après 1914, l’état-major a été plus attentif », abonde Nicolas Offenstadt. « Les officiers dans les tranchées toléraient parfois mais la hiérarchie plus lointaine s’inquiétait que ces trêves n’entravent l’esprit combatif des soldats ». L’historienne Odile Roynette explique que les fraternisations de la Première Guerre mondiale ont été « découvertes relativement tardivement », la censure ayant fait son effet.

« On aimerait raconter une belle histoire »

Si en Ukraine, des trêves ont eu lieu ou surviennent dans la suite du conflit, il est donc probable qu’elles soient cachées par les deux camps. « Si elles survenaient, elles seraient très dissimulées par les autorités militaires, civiles et politiques », assure Odile Roynette. D’autant qu’il semble peu probable qu’un militaire ukrainien dise des soldats russes « ils sont comme nous : ils voudraient être chez eux », comme Jules le déclarait à propos des « Boches » dans l’ouvrage Dans la guerre d’Alice Ferney.

« Plus la guerre va durer, plus il y a des chances qu’il y ait des fraternisations », glisse pourtant Nicolas Offenstadt. Mais à l’heure des téléfilms et des roms coms de Noël, le conte de fées n’est pas au programme en Ukraine. « On aimerait raconter une belle histoire pour Noël, mais ce n’est pas ça la guerre et, d’une certaine façon, on projette nos propres angoisses et nos propres espoirs sur la situation », décrypte Odile Roynette. Et si les Ukrainiens et les Russes opéraient une trêve, ça ne changerait pas le fait qu’il s’agit seulement d'« une parenthèse qu’il ne faut pas idéaliser non plus ».