Guerre en Ukraine : Reprendre Kherson, un objectif « avant l’hiver » mais qui pourrait coûter cher à Kiev

Conflit La Russie pourrait se décider à appuyer sur le bouton nucléaire pour défendre un gain symbolique

Xavier Regnier
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Les troupes ukrainiennes se préparent à un siège de Kherson, dans le sud de l'Ukraine.
Les troupes ukrainiennes se préparent à un siège de Kherson, dans le sud de l'Ukraine. — Genya SAVILOV / AFP
  • L’armée ukrainienne poursuit sa contre-offensive dans le Sud et se rapproche de Kherson, capitale régionale annexée par la Russie.
  • Libérer la ville serait un gros coup symbolique pour Kiev, puisqu’il s’agit de la plus grosse ville prise par les Russes, installés depuis huit mois.
  • Mais elle revêt un caractère tout aussi important pour la Russie, qui y voit une porte d’entrée vers la Crimée. Vladimir Poutine pourrait donc vouloir la défendre à tout prix, selon Philippe Migault et Carole Grimaud, experts en stratégie et en géopolitique, interrogés par « 20 Minutes ».

Edit du 19 octobre 2022 : L’armée russe a annoncé vouloir évacuer plus de 50.000 habitants de Kherson « vers la rive gauche du Dniepr », avec une possibilité d’être accueillis en Russie, face à la contre-offensive ukrainienne. Selon Ria-Novosti, des habitants ont même reçu des SMS les incitant à évacuer avant « des bombardements de l’armée ukrainienne ». Nous vous proposons donc de relire cet article, au moment où la bataille de Kherson se profile.

Cinq cents kilomètres carrés. C’est la surface reprise par l’armée ukrainienne dans le sud du pays en à peine une semaine, selon Volodymyr Zelensky. L’objectif majeur est en ligne de mire : Kherson, capitale régionale d’un oblast théoriquement annexé par Moscou. Les forces russes ont pris la ville dès les premiers jours de la guerre, y ont distribué des passeports russes aux habitants avant d’organiser un « référendum », et l’ont reconnectée à la Crimée.

« C’est la plus grande ville prise le plus tôt dans la guerre », souligne Philippe Migault, directeur du Centre européen d’analyses stratégiques, interrogé par 20 Minutes. En déloger l’armée russe installée depuis huit mois serait incontestablement « un succès symbolique important », explique-t-il, alors que « ni Sieverodonetsk, ni Lysytchansk, ni aucune autre grande ville n’a été reprise » malgré la forte contre-offensive ukrainienne.

Le temps joue contre l’Ukraine

Il y aura « une reprise tôt ou tard de Kherson », estime Carole Grimaud, analyste géopolitique et spécialiste de la Russie, c’est « une question de semaines », dit-elle à 20 Minutes. « Les Ukrainiens voudront récupérer Kherson avant l’hiver », avance-t-elle, car le combat « sera beaucoup plus difficile cet hiver ». Le célèbre hiver de l’est de l’Europe a tranché le sort de bien des guerres, et celle-ci pourrait ne pas faire exception.

Mais à quel prix ? « Reprendre des villages, c’est assez facile, mais une grande ville facile à défendre, c’est plus compliqué », prévient Philippe Migault, moins optimiste. « Il faudrait que les Ukrainiens tirent sur leur propre ville » avec « une grosse puissance de feu », explique-t-il. D’ailleurs, les autres grandes villes occupées par la Russie comme Marioupol ou Sloviansk ont elles-mêmes « été prises à l’état de ruine », rappelle-t-il. « A la place des Russes, je me retrancherais à l’intérieur de la ville », analyse l’ancien correspondant de guerre, tout en soulignant que l’armée russe agit « de manière totalement illogique » dans ce conflit.

Une riposte nucléaire en cas de prise de la ville ?

Volodymyr Zelensky se dirige donc probablement vers un premier siège en position d’assaillant. Avec potentiellement « quatre Himars et des munitions acheminées depuis les Etats-Unis », rappelle Carole Grimaud. « Les ponts ont sauté, les Ukrainiens se sont enfoncés plus loin et ont fait reculer la ligne de front », ajoute-t-elle. Mais l’avantage stratégique n’est pas totalement acquis. « Kherson est encore à plus de deux kilomètres de la ligne de front » et « il reste des milliers de soldats russes dans la région », soutient Philippe Migault. Disposant d’un port, la ville peut « facilement être ravitaillée », et les Russes mobilisés appelés à la défendre. En somme, la Russie peut « infliger des dégâts lourds à l’armée ukrainienne » et ne lâchera pas Kherson facilement.



« Ce sont les premiers gains de l’armée russe, une défaite serait terrible pour eux », rappelle Carole Grimaud. Déjà critiqué par ses soutiens les plus militaristes, Vladimir Poutine ne peut pas se permettre de perdre Kherson, selon elle. Car la ville ouvre la voie vers la Crimée, occupée par la Russie depuis 2014, ce qui avait valu au maître du Kremlin un moment de forte popularité. « Il risque d’y avoir un vrai raidissement de la Russie, avec une riposte beaucoup plus lourde », prévient Philippe Migault. De quoi rendre la « menace nucléaire » plus sensible et « plus dangereuse », alerte Carole Grimaud.