Guerre en Ukraine : Que pourrait changer la prise de Marioupol par les Russes ?

ANALYSE Vladimir Poutine a jugé que ses troupes avaient pris le contrôle avec « succès » de cette ville portuaire stratégique à l’est de l’Ukraine

Hélène Sergent
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Des soldats russes marchent dans les rues de Marioupol, le 12 avril dernier.
Des soldats russes marchent dans les rues de Marioupol, le 12 avril dernier. — Alexander NEMENOV / AFP
  • Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’armée russe n’a cessé de pilonner la ville de Marioupol qui comptait plus de 430.000 habitants avant le conflit.
  • Après plusieurs semaines de combats et de bombardements intenses, la Russie a revendiqué, ce jeudi, la prise de la ville. Une information jugée « contestable » par Joe Biden.
  • Une poche de résistance demeure toutefois sous le site industriel de l’usine Azovstal où des milliers de soldats et civils ukrainiens se retrouvent assiégés.

La vidéo a été partagée massivement sur les réseaux sociaux. Diffusée sur le réseau social Facebook mercredi 20 avril, on y voit un commandant ukrainien en treillis, Serguiy Volyna, interpeller la communauté internationale. « Nous vivons peut-être nos derniers jours, voire nos dernières heures », déclarait cet officier assiégé à Marioupol, dans le sud-est de l'Ukraine. Moins de 24 heures après la publication de ces images, le président russe, Vladimir Poutine, revendiquait la « libération » avec « succès » de la ville par ses troupes.

Depuis plus de deux mois, ce port stratégique qui comptait près d’un demi-million d’habitants avant la guerre, a été pilonné sans relâche. Une poche de résistance demeurerait toutefois dans l'immense usine Azovstal. Abritant dans ses sous-sols plusieurs milliers de soldats et de civils, ce site industriel est désormais assiégé par les forces russes. Jugée pour l’heure « contestable » par le  président américain Joe Biden, la prise de la ville par l’armée de Vladimir Poutine pourrait-elle marquer un tournant dans ce conflit ? 20 Minutes fait le point.

Un site convoité depuis le début du conflit

Le port de Marioupol, situé au bord de la mer d’Azov, est un objectif stratégique majeur pour le pouvoir russe. Sa situation géographique et son poids économique pour le gouvernement ukrainien ont contribué à faire de la ville une cible de choix dans le conflit. « Une grande partie des céréales produites par Kiev sont exportées depuis Marioupol. Même si les volumes qui transitent par ce port restent moindres par rapport à Odessa, cela reste un site important », explique à 20 Minutes Carole Grimaud-Potter, professeure de géopolitique spécialiste de la Russie à l’université de Montpellier. Contrôler Marioupol permettrait également à Vladimir Poutine de relier le Donbass au sud du pays déjà occupé.

La prise de la ville pourrait aussi modifier l’engagement militaire de la Russie dans la région. Selon le département américain de la Défense, la chute de Marioupol et la fin des combats dans la ville permettraient de libérer près de « 12 groupes tactiques de bataillons, soit environ 8 000 soldats ou plus », rapportait mercredi le site du magazine américain Foreign Policy. Un redéploiement à nuancer toutefois avec l’état physique et moral des troupes engagées à Marioupol qui doivent faire face, depuis deux longs mois, à une résistance importante de la part des forces ukrainiennes. « Si Marioupol rendait définitivement les armes, ce ne serait pas la fin de la guerre pour autant. Le contrôle total du Donbass reste toujours un objectif pour les troupes russes », ajoute Carole Grimaud-Potter.

Un outil de propagande

Au-delà de l’intérêt stratégique et militaire, la chute de Marioupol aurait une valeur « symbolique » pour Vladimir Poutine. « Reprise par l’Ukraine après l’annexion de la Crimée, la ville est aussi le lieu de naissance du bataillon Azov qui a depuis rallié la garde nationale ukrainienne. Ce bataillon, qui comptait en son sein des éléments néonazis, est directement visé par le pouvoir russe. En prenant Marioupol, ce serait pour le Kremlin une victoire pour la supposée dénazification du pays », analyse la spécialiste en géopolitique. « La prise de ce port tomberait à point nommé pour les célébrations à venir du 9 mai, date symbolique et historiquement chargée » pour les Russes, ajoute-t-elle.

A l’inverse, le contrôle de la ville par la Russie pourrait avoir des conséquences désastreuses sur le moral des forces ukrainiennes. Un enjeu dont a parfaitement conscience le président Volodymyr Zelensky. Dans un message posté le 10 avril dernier, il qualifiait Marioupol de « cœur de cette guerre » : « Elle se bat, nous nous battons, nous sommes forts. Si elle arrête de se battre, nous aurons des positions plus faibles ».

Dernière conséquence et non des moindres, le passage sous pavillon russe de Marioupol mettrait en péril d’innombrables procédures judiciaires internationales et nationales. Depuis le début de la guerre, plusieurs exactions visant des bâtiments civils comme le théâtre municipal ou un hôpital pour enfants ont été documentées. Le contrôle de la ville par les Russes pourrait ainsi mettre à mal le recueil des preuves et de témoignages nécessaires au bon déroulé de ces enquêtes pour crimes de guerre. « Avec la chute de Marioupol, on s’éloigne un peu plus de la vérité », conclut Carole Grimaud-Potter.