Japon : Suffit-il de mettre beaucoup d’argent sur la table pour inciter à faire des bébés ?

Fécondité Le taux de natalité du Japon ne cesse de diminuer année après année, malgré des mesures incitatives

Diane Regny
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Le Japon a enregistré moins de 800.000 naissances l'an dernier, le nombre le plus bas depuis l'établissement des statistiques en 1899. (PHOTO D'ILLUSTRATION)
Le Japon a enregistré moins de 800.000 naissances l'an dernier, le nombre le plus bas depuis l'établissement des statistiques en 1899. (PHOTO D'ILLUSTRATION) — Canva
  • Le Premier ministre japonais Fumio Kishida a annoncé jeudi un plan de 25 milliards de dollars d’aide aux familles pour encourager le taux de natalité.
  • Le Japon a enregistré moins de 800.000 naissances l’an dernier, le nombre le plus bas depuis l’établissement des statistiques en 1899.
  • Mais mettre de l’argent sur la table suffit-il à modifier la courbe démographique d’un pays ? 20 Minutes se penche pour vous sur la question grâce à l’éclairage de Bénédicte Gastineau, démographe à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et Stéphanie Toutain, sociologue démographe et enseignante-chercheuse à l’université Paris Cité.

La population du pays du soleil levant semble être au crépuscule de sa vie. Au Japon, près de 30 % des citoyens ont 65 ans ou plus. C’est un record mondial, derrière Monaco qui accueille beaucoup de retraités. Face à une natalité en berne et dans l’espoir d’insuffler un rebond, Tokyo a annoncé ce jeudi un plan de 25 milliards de dollars.

Mais mettre de l’argent sur la table est-il suffisant pour encourager une population à se reproduire ? 20 Minutes se penche pour vous sur la question grâce à l’expertise de Bénédicte Gastineau, démographe à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et Stéphanie Toutain, sociologue démographe et enseignante-chercheuse à l’université Paris Cité.

Le Japon souffre-t-il d’une baisse de natalité record ?

En 2022, le nombre de naissances au Japon est tombé sous la barre des 800.000, au plus bas depuis le début de ces statistiques en 1899. C’est même presque deux fois moins qu’il y a quarante ans, d’après les chiffres officiels, rendus publics fin février. « Le Japon vit un vieillissement par le bas de la pyramide, avec moins de naissances, mais aussi par le haut parce que le pays à l’une des espérances de vie les plus élevées au monde », rappelle la sociologue démographe Stéphanie Toutain. Près d’un tiers de citoyens japonais ont 65 ans ou plus. « La population est très vieille au Japon, seulement 12 % des Japonais ont moins de 15 ans soit deux fois moins que ceux qui ont 65 ans ou plus », note Bénédicte Gastineau, démographe à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD).

De plus, le Japon est un pays très fermé à l’immigration. « Le pays vit en vase clos, une situation d’autant plus facile que c’est un archipel. Tous ces facteurs conduisent à un hiver démographique au Japon », explique Stéphanie Toutain. Une myriade d’autres pays ne comptent pas assez de naissances pour renouveler la population, à l’image de la Corée du Sud ou de l’Italie. Mais avec 800.000 naissances par an pour 120 millions d’habitants, le pays du soleil levant est particulièrement impacté. « A titre de comparaison, en France on enregistre 700.000 naissances par an pour 70 millions d’habitants », glisse l’enseignante-chercheuse à l’université Paris Cité. « Si la fécondité reste aussi faible, le Japon est menacé de disparaître. 900 communes sont déjà en voie d’extinction dans le pays », explique Bénédicte Gastineau.

Les politiques pro-natalité fonctionnent-elles ?

Dans l’espoir d’enrayer le phénomène, le gouvernement nippon a mis sur la table un plan de 25 milliards de dollars. Au menu s’entremêlent des aides financières directes pour les parents, des aides financières pour l’éducation et les soins prénataux ou encore le congé parental pour les pères et la promotion d’horaires de travail flexibles. « Les aides financières sont pensées pour inciter les citoyens à se reproduire mais je pense que ça a peu d’impact sur la fécondité d’un pays. Cela n’aide que ceux qui avaient déjà prévu d’avoir des enfants », estime Stéphanie Toutain. « Dans de nombreux pays européens, beaucoup d’aides financières pro-natalité ont été mises en place sans parvenir à empêcher le déclin de la fécondité », rappelle-t-elle.

Les politiques pro-natalité sont très onéreuses - comme en témoigne ce plan de 25 milliards de dollars - pour des résultats souvent maigres. Or, en soutenant l’économie ces dernières années, Tokyo a déjà fortement creusé sa dette publique. L’archipel, qui compte aussi augmenter considérablement ses dépenses militaires, pourrait faire face à un écueil financier en mettant tant d’argent sur la table pour encourager la natalité. D’autant que le manque de soutien financier aux parents est loin d’être l’unique raison de la baisse démographique du pays. « Il faut se poser la question du pourquoi », souligne Bénédicte Gastineau.

En dehors de l’argent, quels moyens peuvent avoir un effet positif sur la natalité ?

« La fécondité est un phénomène très complexe qui dépend de multiples facteurs. La réduire à des mesures financières serait une erreur », pose d’emblée Stéphanie Toutain. Le Japon fait face à de nombreuses problématiques sur la natalité. La répartition traditionnelle des rôles est très figée dans l’archipel. D’après une étude du gouvernement en 2021, les Japonaises consacrent quatre fois plus de temps aux enfants et aux tâches ménagères que les hommes. Il est très mal vu et très difficile, à cause du manque d’options de garde, pour une mère de continuer à travailler. Ce qui explique que le Japon ait le plus fort taux de femmes de plus de 50 ans sans enfant dans l’OCDE, à presque 30 %.

« Pour faire remonter la fécondité, il va falloir que la place des femmes change », prévient Bénédicte Gastineau. La démographe pointe aussi la place de l’enfant qui doit être ultra-performant avec tout ce que cela implique en termes d’investissement financier (cours particuliers, cours de musique etc.) mais aussi la rigidité de la structure familiale. Seules 2,4 % des naissances du pays surviennent hors mariage, le plus faible taux parmi les pays de l’OCDE. Les pansements que constituent les annonces gouvernementales seront insuffisants pour changer de modèle de société. « Au Japon, la femme est celle qui élève son enfant. Je ne suis pas sûre que ces mesures suffisent à contrecarrer cette image culturelle, très ancrée dans la société. En Suède, ça fonctionne mais la culture japonaise est toute autre », tranche Stéphanie Toutain.