Guerre Hamas – Israël : Etudiants harcelés, dons retirés… Comment l’université de Harvard se déchire sur le conflit ?
Polémique Des groupes d’étudiants ont dénoncé le « régime d’apartheid » d’Israël, provoquant un scandale chez les anciens élèves
- A Harvard, une polémique a éclaté après la diffusion d’une lettre de soutien aux Palestiniens, qualifiant Israël de « régime d’apartheid », par une trentaine de groupes d’étudiants. Des groupes conservateurs ont révélé les noms des signataires, les accusant d’antisémitisme.
- La direction de Harvard a réagi timidement dans un premier communiqué, suscitant des critiques. Mais la liberté d’expression est un engagement fort dans les universités américaines, et des professeurs appellent aussi à protéger les élèves harcelés.
- 20 Minutes fait le point sur cette affaire alors que des élus et des soutiens financiers de Harvard alimentent la polémique, plusieurs mécènes menaçant de retirer leurs donations.
Au bureau, avec vos amis ou lors d’un repas de famille ce week-end, vous l’aurez constaté : le conflit israélo-palestinien est l’un des sujets abordés les plus sensibles qui soit. Entre le soutien international à Israël, la situation humanitaire à Gaza et la qualification du Hamas de « terroristes », difficile voire impossible de trouver une position qui fasse consensus. Certaines personnalités et institutions se retrouvent ainsi prises à partie violemment pour une absence de réaction ou après un communiqué maladroit.
C’est notamment le cas de Harvard, la prestigieuse université américaine, où donateurs, enseignants, anciens élèves et étudiants se déchirent, entre harcèlement, accusations d’antisémitisme et dénonciation d’un « génocide ». D’où vient cette polémique ? Comment la direction de l’université tente de calmer la crise ? Pourquoi les soutiens financiers et les anciens élèves s’en mêlent ? 20 Minutes fait le point.
D’où est partie la polémique ?
Tout commence le 8 octobre, au lendemain de l’attaque du Hamas et après les premiers bombardements israéliens. Une trentaine de groupes et clubs étudiants cosignent et diffusent sur le campus une lettre, qui dénonce « le régime d’apartheid d’Israël », « responsable de toutes les violences » qui façonnent « tous les aspects de la vie palestinienne depuis soixante-quinze ans ». « J’ai été très fier, et ému par la justesse et le courage de cette lettre », affirme à Libération Josh, militant dans une organisation juive propalestinienne et récent diplômé de Harvard. « Mais le retour de bâton a été insensé. »
L’affaire prend très vite un tour médiatique, avec un ancien directeur et plusieurs élus (les républicains Elise Stefanik et Ted Cruz, diplômé de la faculté de droit de Harvard, le démocrate Jake Auchincloss) appelant à une réaction ferme de la direction de l’université. Le campus s’enflamme aussi, avec un second texte, soutenu par des professeurs et plusieurs milliers d’étudiants, qualifiant le communiqué propalestinien de « complètement erroné et profondément offensant ». Pire, un doxxing se met en place, révélant les noms de signataires du premier texte. C’est ainsi qu’une camionnette, payée par un groupe conservateur, a circulé autour du campus, affichant sur un écran les photos et noms de signataires, affublés de l’adjectif « antisémite ». « J’en ai vomi dans le jardin de Harvard », raconte l’une des personnes visées au New York Times.
Comment a réagi la direction d’Havard ?
Sommé de réagir, le bureau de l’université publie un premier communiqué le 9 octobre, proposant « d’approfondir les connaissances » sur le conflit au nom de « notre humanité commune et de valeurs partagées », et soulignant « la peur, la tristesse, la colère » qui pouvaient parcourir les étudiants. Bien trop mou, jugent certains détracteurs.
La présidente de Harvard, Claudine Gay, s’exprime alors à la première personne le lendemain soir : « Qu’il n’y ait aucun doute sur le fait que je condamne les atrocités terroristes perpétrées par le Hamas. (…) Permettez-moi aussi d’affirmer que, sur ce sujet comme sur d’autres, nos étudiants ont certes le droit de s’exprimer en leur nom, mais aucun groupe étudiant – pas même trente groupes étudiants – ne parle au nom de l’université Harvard ou de sa direction. »
Pourquoi la plus prestigieuse université américaine se retrouve en danger ?
Aux Etats-Unis, la liberté d’expression est fortement protégée par la Constitution et est un sujet d’attention au sein des campus, où s’était forgée l’opposition à la guerre du Vietnam. A Stanford et Columbia, les présidents d’université, qui ont tendance à encourager les diversités d’opinion, sont aussi critiqués pour « ne pas s’être exprimés assez vite, assez fort » sur des faits similaires sur leurs campus, cite la présidente de l’Association américaine des universités (AACU), Lynn Pasquerella. Un collectif de professeurs de Harvard appelle de son côté à protéger les étudiants « harcelés » sur Internet.
Car les donateurs et anciens élèves continuent de mettre la pression sur Harvard. Bill Ackman, figure de Wall Street passé par l’université de Boston, demande à ce que soient rendus publics les noms des signataires du premier texte pour ne pas les embaucher « par inadvertance ». La fondation Wexner, qui promeut la formation d’élites de la communauté juive aux Etats-Unis, a mis fin à son partenariat avec la Harvard Kennedy School. Une réponse à « l’échec lamentable de la direction de Harvard à prendre une position claire et sans équivoque contre les meurtres barbares de civils israéliens innocents », a écrit le milliardaire Les Wexner, fondateur de la chaîne de magasins Bath & Body Works (Victoria’s Secret).
Selon des médias américains, Kenneth Griffin, PDG du fonds d’investissement Citadel et l’un des grands donateurs de Harvard (350 millions de dollars en 2023), a aussi fait connaître son mécontentement. Si cela ne suffit à menacer le « modèle économique » de l’université, l’une des plus riches du monde, le phénomène fragilise les plus petits campus, s’inquiète Lynn Pasquerella.