Election américaine 2024 : Pourquoi le poids pèse-t-il si lourd en politique ?
régime présidentiel•Pour sa campagne, Donald Trump a fondu de près de dix kilos. C’est moins que François Hollande en 2012, qui avait perdu près de 20 kg pour la présidentielleDiane Regny
L'essentiel
- Le candidat républicain à la présidentielle américaine, Donald Trump, a perdu près de dix kilos avant la campagne.
- En 2012, François Hollande s’amusait à dire « plus je maigris, plus je monte dans les sondages ».
- Mais pourquoi le poids des politiques semble-t-il aussi important ? Faut-il vraiment être mince pour être élu ?
«Un Trump plus maigre est-il un Trump plus éligible ? », s’interrogeait Slate en avril dernier, tout en retraçant le poids et le changement de silhouette de l’ancien président américain. Le candidat républicain a en effet fait couler beaucoup d’encre en perdant 20 livres - environ 9 kg - il y a quelques mois. La dissection du corps des stars reste l’un des exercices préférés des tabloïds, et les politiques n’échappent pas à cet examen minutieux. Dans l’arène politique aussi, le poids pèse lourd.
« L’exemple de Donald Trump est un miroir de ce qu’il se passe dans la société, réagit Marielle Toulze. Les personnes grosses sont considérées comme incapables de maîtriser leur corps, alors comment pourraient-elles maîtriser un pays ? » La société reste donc infusée par les préjugés négatifs sur les personnes grosses. « Un corps gros est considéré comme un corps passif et, donc par extension, une personnalité passive qui manque de volonté », ajoute la maîtresse de conférences à l’Université de Saint-Étienne et chercheuse associée au laboratoire ELICO.
« De Flanby à Porcinet »
Les préjugés grossophobes sont d’autant plus scrutés en politique qu’il s’agit d’un « exercice de séduction », explique Alexandre Eyries, enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université Catholique de l’Ouest. « Durant presque l’entièreté de sa carrière politique, François Hollande a été affublé de surnoms tous plus dépréciatifs les uns que les autres, allant de Flanby à Porcinet », rappelle-t-il. L’ancien président français avait d’ailleurs fait un régime drastique pour préparer la campagne présidentielle de 2012. Une perte de 17 kg selon Pierre Dukan, qui assurait dans les médias que son régime était à l’origine de cette mue.
Malgré cette vertigineuse perte de poids, François Hollande a souvent été moqué pour sa ligne. D’après BFMTV, Nicolas Sarkozy lui soufflerait régulièrement « t’as pas pris un kilo ? » lorsqu’ils se croisent. L’ancien leader des Républicains avait aussi conseillé à un député de maigrir s’il espérait entrer au gouvernement en 2009, selon Le Parisien. « On sait très bien qu’ils sont obligés ou, au moins, fortement poussés à perdre du poids pour paraître légitimes en tant que leader », acquiesce Marielle Toulze.
Le V de la puissance masculine
Et justement, encore aujourd’hui, le physique du leader se conjugue au masculin. « Un leader est censé en imposer physiquement. Et Donald Trump veut avoir une stature en adéquation avec son style de communication politique très éruptif, très agressif », note Alexandre Eyries. Or, « chez les hommes, la grosseur renvoie à des courbes, au féminin », souligne Marielle Toulze. Pour casser la rondeur de sa silhouette, Donald Trump se repose aussi sur ses vêtements. Ils lui permettent d’accentuer sa carrure et, ainsi, perdre quelques kilos visuellement.
« La coupe [des costumes] de Donald Trump est faite de manière à dissimuler son poids », explique Derek Guy, spécialiste de la mode masculine, sur X. Grâce à des épaulettes qui dépassent largement ses épaules, le républicain tend vers une silhouette en forme de V. Or, en renforçant les épaules, on donne un aspect « plus puissant, autoritaire et formel » à une silhouette, explique Derek Guy. « Le V correspond à des critères esthétiques, mais c’est aussi le V du virilisme. Il affiche ainsi les stéréotypes de genre qu’il prône et qu’il essaie de porter sur lui », note Marielle Toulze.
L’Amérique de Hollywood plutôt que l’Amérique de l’obésité
Enfin, aux Etats-Unis, la question du poids est éminemment politique. En 2018, le médecin de la Maison-Blanche avait annoncé que Donald Trump pesait 108 kg. Un poids qui, couplé à sa taille (1,90 m selon ses dires), frôlait l’obésité. Cette affirmation avait d’ailleurs été accueillie avec suspicion par de nombreux observateurs politiques qui soupçonnaient le médecin d’avoir enlevé quelques kilos au président. Dans un pays où plus de 40 % de la population est obèse, « les femmes et les hommes politiques doivent, eux, correspondre à l’idéal de l’Amérique de Hollywood. […] Un présidentiable obèse renverrait l’image d’une certaine Amérique, or c’est une plaie envenimée pour la société américaine » outre-Atlantique, glisse Alexandre Eyries.
Les préjugés et la grossophobie n’épargnent donc pas les Américains qui sont en surpoids. « Les personnes grosses ou obèses intègrent que c’est de leur faute et encore plus aux Etats-Unis, où il faut se construire soi-même, être un gagnant, et où l’incapacité à perdre du poids est vécue comme un échec », décrypte Marielle Toulze. Pourtant, la perte de poids dépasse largement la question de la volonté. Et, comme le dit Alexandre Eyries, « c’est très cruel. Car on peut évidemment être un excellent dirigeant tout en étant en surpoids ».
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