Terrorisme : La mort du chef de l’Etat islamique, une annonce qui « ne changera rien à l’opérationnel » sur le terrain

Succession Le groupe djihadiste a confirmé la semaine dernière la mort de son chef, annoncé fin avril par la Turquie

Xavier Regnier
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Le groupe islamiste HTS, qui contrôle la région d'Idleb en Syrie, serait à l'origine de la mort du chef de l'EI.
Le groupe islamiste HTS, qui contrôle la région d'Idleb en Syrie, serait à l'origine de la mort du chef de l'EI. — OMAR HAJ KADOUR / AFP
  • Abou Hussein al-Qourachi, le « calife » de l’Etat islamique, a été tué fin avril, mais le groupe terroriste n’a confirmé son décès que le jeudi 3 août.
  • « Ça ne changera rien à l’opérationnel », estiment les experts interrogés par 20 Minutes, qui soulignent l’autonomie des différentes branches de l’EI.
  • Si la menace à l’international reste présente, l’affrontement avec Al-Qaïda et d’autres groupes islamistes est désormais le combat principal de l’organisation terroriste.

Entre l’annonce de la mort du chef de l’Etat islamique par Recep Tayyip Erdogan et la communication officielle de l’organisation terroriste, jeudi dernier, 95 jours se sont écoulés. Trois mois d’attente, de silence, d’opacité. Qu’en était-il d’Abou Hussein al-Qourachi, et de la tête de Daesh ? Sur ce point, le communiqué de l’EI est lapidaire : le calife est mort au combat, dans une « confrontation directe ».

« Erdogan avait parlé d’une ceinture explosive », mais la formulation de Daesh « n’exclut pas le suicide », analyse Jenny Raflik, professeure d’histoire contemporaine à Nantes-Université, spécialiste notamment de la lutte antiterroriste. « Ça ouvre à toutes les interprétations pour les sympathisants de l’EI », note-t-elle, avec la possibilité de donner à al-Qourachi une posture « de héros ». Toutefois, le communiqué de Daesh dément la version d’Ankara, alors que « ça aurait été plus valorisant de mourir face aux forces spéciales turques », note Wassim Nasr, journaliste spécialiste du terrorisme islamiste.

Etat islamique contre Al-Qaïda

À la place, l’EI indique que son chef est mort lors d’une opération du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC, parfois aussi écrit sous la forme HTS), dans le nord de la Syrie. « Ce n’est pas étonnant, ça confirme que la guerre est totale entre eux depuis 2013 », souligne-t-il. Dans le détail, le groupe HTC, formé en 2017, est l’héritier du Front al-Nosra, fondé en 2012 par Abou Mohamad al-Joulani, sous l’impulsion… d’Abou Bakr al-Baghdadi, futur chef charismatique de l’EI. Le Front al-Nosra rejoint en 2013 Al-Qaïda, avant de s’en éloigner aussi en 2016, toujours sous la houlette d’al-Joulani. HTC contrôle aujourd’hui un bout de territoire de la Syrie autour d’Idlib, à la frontière avec la Turquie, et renie le djihad global. « HTC n’a pas intérêt à contrarier Erdogan », même s’ils auraient aimé revendiquer l’attaque, pousse Wassim Nasr.

Derrière cet historique alambiqué, le premier enseignement de la mort d’al-Qourachi est que les premiers adversaires de l’EI sont désormais d’autres groupes islamistes. Les deux derniers califes de l’EI ont été tués dans des affrontements avec les rebelles syriens et HTS, « c’est un changement important », estime Jenny Raflik, par rapport aux précédents tués dans des raids américains. « L’EI n’est plus cette structure territoriale mais reste bien implantée, Al-Qaïda n’a plus la même puissance de frappe » en Occident mais garde « un fort pouvoir de nuisance ». Entre ces deux forces qu’on pourrait qualifier de déclinantes, « la rivalité est présente depuis le début », et une « répartition s’opère », observe l’universitaire. « L’EI s’étend au Sahel, il y a un regain d’attentats » dans tout le Moyen-Orient et jusqu’au Pakistan. Surtout, les deux structures « se sont émancipées de leurs chefs fondateurs », et leur mort « ne met pas fin à l’organisation ».

« Les branches sont autonomes »

D’ailleurs, pour Jenny Raflik, le communiqué de l’EI « annonce surtout la nomination de leur nouveau chef », Abou Hafs al-Hachemi al-Qourachi, qui a d’ailleurs « déclenché une suite de prestation de serments », notamment au Sahel. « La communication entre les branches est difficile et éparpillée, ils devaient récolter ces allégeances avant pour avoir l’effet voulu », décrypte Wassim Nasr. « On reste dans la continuité » en sautant la vacance du pouvoir, malgré la « succession rapide » des chefs depuis quelques mois, appuie Jenny Raflik.

« Ça ne changera rien à l’opérationnel », analysent à l’unisson les deux experts. Mieux, avoir un chef dont on ne sait presque rien « rend plus difficile de l’éliminer, d’ailleurs l’EI change régulièrement les pseudos de ses combattants pour empêcher de les identifier », indique l’historienne nantaise. « Les branches sont autonomes, ils sont rodés à cette mécanique », assure Wassim Nasr. Ce n’est donc pas la mort de son 3e calife depuis début 2022 qui va faire tomber l’EI, même si l’organisation n’a plus autant de moyens qu’en 2015 d’organiser des attentats d’envergure en Occident.