Syrie, Chine, Russie… Va-t-on vers une « amicale des dictatures » ?
Injustice league La Chine a reçu le dictateur syrien vendredi 22 septembre, dix jours après la rencontre entre Vladimir Poutine et Kim Jong-un
- Le dictateur syrien a été reçu par le chef d’Etat chinois vendredi 22 septembre.
- Une étape supplémentaire dans la réhabilitation du régime syrien sur la scène internationale mais surtout un coup diplomatique de la part de Pékin.
- Avec cette relation qui se renoue à la vue de tous, un bloc entre les différentes dictatures du monde est-il en train de faire front ?
Cela faisait près de vingt ans que Bachar al-Assad n’avait pas posé un pied en Chine. Le dictateur syrien a été reçu par Xi Jinping vendredi dernier, en marge des Jeux asiatiques. Une rencontre inédite à l’issue de laquelle Pékin et Damas ont noué un « partenariat stratégique », notamment sur la reconstruction de la Syrie en ruine après plus de dix ans de guerre.
Un coup plus diplomatique qu’économique pour Damas, mais aussi pour Pékin qui montre ainsi au monde entier qu’elle « est capable de discuter avec tout le monde », analyse pour 20 Minutes Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), spécialiste de la Chine.
Une aubaine pour la Chine
Si elle le fait bien plus discrètement que la Russie, la Chine n’a jamais caché son soutien au régime syrien, notamment au Conseil de sécurité de l’ONU, en s’abstenant régulièrement lors du vote de résolutions contrariant le pouvoir en place, suivant l’exemple de Moscou. Alors pourquoi attendre septembre 2023 pour recevoir le dictateur syrien ?
La Chine profite du rapprochement déjà opéré avec Damas par différents pays du Moyen-Orient, selon Nicolas Tenzer, spécialiste des questions stratégiques et internationales et enseignant à Sciences po. La Syrie a en effet réintégré la Ligue arabe en mai dernier. « Cela crée une opportunité avec la concordance des puissances du Moyen-Orient », développe-t-il. En effet, la Chine ne se serait pas exposée ainsi si certains Etat n’avaient pas pris les devants avec la Syrie. « Elle ne l’aurait pas fait en premier, insiste Antoine Bondaz, elle a attendu que la dynamique s’enclenche ».
L’autre occasion, c’est la guerre menée par la Russie en Ukraine. « Le contexte accentue la tentative des dictatures de joindre leurs forces pour dire au monde occidental que ses condamnations, son droit international, ils n’en ont rien à faire », résume Nicolas Tenzer. Avec sa guerre ouverte, Moscou a ouvert la porte à la Chine « qui ne se fait pas pour autant dicter sa conduite par le Kremlin », précise l’enseignant à Sciences po. Néanmoins, « l’attitude de la Russie face au droit international a permis à la Chine de s’affranchir peu à peu des formes de prudence qu’elle pouvait avoir jadis », ajoute-t-il.
Un message envoyé au reste du monde
Ce partenariat noué entre Damas et Pékin permet ainsi à la Chine de se positionner à l’international. « Car le premier intérêt de ce rapprochement n’est justement pas économique, mais diplomatique et stratégique, la Syrie n’est pas un producteur intéressant d’hydrocarbures et Pékin n’a pas intérêt à mettre des milliers pour la reconstruction de la Syrie », développe Antoine Bondaz. Derrière ces prétextes, recevoir Bachar al-Assad permet surtout à Pékin « d’envoyer un message et montrer que la Chine est le seul membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU capable de parler à tout le monde, même aux pays "parias", comme la Syrie, contrairement aux Occidentaux », poursuit le chercheur. Elle se positionne en vraie puissance, vraie médiatrice.
Outre les pays occidentaux, c’est surtout aux Etats en développement que ce message est adressé. Pour le résumer grossièrement : plutôt que de discuter avec les grandes démocraties donneuses de leçon, parlez plutôt avec nous. « Face à une situation internationale pleine d’instabilité et d’incertitude, la Chine est prête à continuer à travailler avec la Syrie, pour se soutenir mutuellement, promouvoir une coopération amicale et défendre conjointement l’équité et la justice au niveau international », a, en d’autres termes, déclaré l’homme fort de Pékin soulignant que les deux pays « ont résisté à l’épreuve des changements internationaux ».
Mais pour Antoine Bondaz, c’est également un discours dirigé vers la population chinoise, pour faire passer l’idée que, contrairement aux Etats-Unis, le pouvoir chinois « est concentré sur la reconstruction et non sur une diplomatie de guerre, que le pouvoir chinois est plus efficace, plus vertueux ». En effet, selon le chercheur, le parti communiste chinois doit « se légitimer en permanence » aux yeux de sa population.
Un front commun
Reste qu’il y a bien un parfum de guerre froide qui parcourt les relations internationales avec un bloc de dictatures ou régimes autoritaires et un bloc démocratique. « La Chine est un régime génocidaire dans la logique même de l’impunité », rappelle Nicolas Tenzer. Même si pendant des années elle a su s’acheter une image présentable, son visage a changé avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping qui « a accentué la logique de destruction des règles du droit international, aujourd’hui, l’idée que la Chine est plus raisonnable que la Russie est caduque », prévient Nicolas Tenzer.
Avec les rapprochements en la Chine et la Syrie, mais aussi la Russie et la Corée du Nord, l’Iran et l’Arabie saoudite et des relations qui s’intercroisent, n’y aurait-il pas une sorte d’amicale des dictatures qui se met en place sur la scène internationale, face aux puissances démocratiques occidentales ? « Oui, il y a une conjonction d’intérêts de l’ensemble des dictatures qui veulent pulvériser le droit international, la notion juridique de crimes de guerre, les droits humains… Donc toute forme de contact entre deux dictatures est dans la logique des choses », confirme Nicolas Tenzer.
Un bloc qui s’entraide, sans avoir de chef de file. « Les régimes autoritaires sanctionnés par la communauté internationale ont toujours eu tendance à opérer entre eux », précise Antoine Bondaz. Toutefois, la Chine n’a pas intérêt à prendre le rôle de leader de cette ligue des tyrans. « S’en rapprocher oui, mais pas au détriment de sa relation avec les régimes occidentaux. La Chine c’est le pays qui est capable de recevoir Bachar al-Assad quelques mois après Emmanuel Macron », illustre-t-il.