Grèce: «On est prêt à être pauvres, mais libres»
REPORTAGE Autour d'une table, une poignée de Grecs refait le monde, à commencer par leur pays...
De notre envoyé spécial
Si l’agora d’Athènes n’est plus qu’un champ de ruines, sa mémoire, elle, a survécu. Depuis près d’un mois, c’est la place Syntagma qui occupe cette fonction de lieu de rassemblement social, mais la minorité visible qui l’occupe n’est pas plus bavarde que la majorité que l’on peut croire, à tort, silencieuse. Lundi soir, Yiannis a réuni sa famille et ses amis, tous âgés de 47 à 50 ans, dans un café autour de quelques verres d’ouzo pour parler de la crise actuelle.
Ce conseiller financier invite d’abord ses enfants à prendre la parole. Même les plus jeunes sont au courant de ce qu’il se passe. «Si un désastre intervient, j’irai dans un autre pays», déclare tout de go Ioanna, âgée de 10 ans. Son grand frère de 17 ans, Adam, qui vient de finir le lycée, n’est pas prêt à un tel sacrifice. «Je ne pourrais jamais aller vivre ailleurs qu’en Grèce, je veux servir mon pays», indique-t-il. «Ma génération est en train d’écrire l’Histoire, quelque chose de nouveau et de meilleur arrive et la Grèce survivra», ajoute-t-il.
«La situation actuelle, c’est de la merde»
Puis vient le tour des adultes. «La situation actuelle, c’est de la merde», déclare d’emblée Spyros, qui est avocat. «Au début, on a eu peur de perdre notre argent, maintenant on est en colère contre nos hommes politiques», explique-t-il. «Ils ne travaillent pas pour le peuple, ils ont oublié que, dans une démocratie, le citoyen doit participer aux décisions. On vit aujourd’hui un conflit pour permettre une meilleure démocratie», ajoute Spyros qui se dit entré dans «une guerre globale» qu’il n’a pas choisie.
Katia, écrivain, souligne alors le manque de leaders en Grèce. «Ils ne peuvent pas nous représenter», constate-t-elle. Pourtant, c’est un bien un parlement élu qui prend les décisions. «Ils nous ont menti avant les élections», coupe Tonia, ingénieure informatique. «On s’est trompé, on s’en veut mais on a le droit de changer», renchérit Spyros qui estime que comme les Grecs n’ont pas été respectés, ils ont le droit légitime de reprendre le pouvoir à travers la «démocratie réelle» prônée par les manifestants de Syntagma.
«Dans une famille, on doit aimer et respecter tous ses enfants»
Mais au-delà du gouvernement grec, «aveugle et sourd», l’Union européenne (UE) et les institutions monétaires internationales sont décriées par Yiannis et ses amis. «Nos hommes politiques transfèrent en Grèce les ordres qu’ils reçoivent d’elles», considère Katia. «L’UE active les divisions au sein du pays alors que son défi est d’apprendre son unité au reste du monde», peste-t-elle encore.
La petite assemblée s’interroge alors sur sa place au sein de cette Union qui ne voudrait pas de leur pays, «leur âme d’origine». «C’est un problème de civilisation», lance Nikos, le médecin du groupe, laissant la métaphore à Katia: «Dans une famille, on doit aimer et respecter tous ses enfants.»
«On ne veut pas devenir des esclaves»
Alors que faire dans la situation actuelle? Refuser les prêts, clament en chœur les convives. «On n’en a pas besoin, on n’en veut pas, ce genre de sauvetage, c’est notre mort», insiste Spyros. «On nous a déjà donné un prêt qui n’a servi qu’à rembourser les intérêts des précédents. Ils peuvent nous traiter de voleurs et de corrompus, nous sommes le miroir de l’UE», ajoute-t-il. «Si les dirigeants grecs veulent de l’argent, qu’ils le mettent sur leur compte, nous, on ne veut pas devenir des esclaves, on est prêt à être pauvres, mais libres», dit encore l’avocat.
Quatre heures ont passé, les lumières de la terrasse sont déjà éteintes et le café fermé, mais le gérant avait indiqué à la tablée qu’ils pouvaient rester autant qu’ils voudraient, en laissant toutes les victuailles sur place. Et Spyros de conclure: «C’est ça la Grèce.»