Mort de Ben Laden: Le rôle trouble du Pakistan

Catherine Fournier
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Des policiers et soldats pakistanais filtrent le trafic près d'Abbotabad, lieu où a été tué Ben Laden lors d'une opération américaine le 2 mai 2011 au Pakistan.
Des policiers et soldats pakistanais filtrent le trafic près d'Abbotabad, lieu où a été tué Ben Laden lors d'une opération américaine le 2 mai 2011 au Pakistan. — REUTERS/Faisal Mahmood

Au lendemain de la mort d’Oussama ben Laden, le Pakistan se trouve dans une situation plus qu’embarrassante. C’est sur son sol que le leader d’Al-Qaida a été tué par un commando américain. A Abbottabad, plus précisément, une ville de garnison située à 80 km à peine d'Islamabad et abritant de surcroît une des plus célèbres académies militaires pakistanaises…

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Selon les derniers éléments communiqués ce mardi par le conseiller en terrorisme de Barack Obama, John Brennan, Oussama ben Laden y avait pris ses quartiers depuis cinq ou six ans. Malgré tout, le président pakistanais Asif Ali Zardari persiste et signe. Il n’était pas au courant de la présence de l’ennemi public mondial numéro 1 sur ses terres, mais son «élimination» est le résultat «d'une décennie de coopération et de partenariat» avec les Etats-Unis (lire l’encadré).

Crainte que le Pakistan «alerte la cible»

Un double jeu pointé du doigt par les Occidentaux. John Brennan a jugé «inconcevable que Ben Laden n'ait pas disposé d'un système de soutien dans le pays où il a pu vivre pendant une période de temps prolongée». Quant à Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, il a estimé que la position du pays «manquait de clarté».

A tel point que les autorités américaines ont craint que le Pakistan ne mette en péril l'opération de dimanche en «alertant la cible», selon Leon Panetta, directeur de la CIA, préférant ainsi tenir à l’écart Islamabad, informé seulement après que tous les appareils impliqués eurent quitté son espace aérien.

Relations ambiguës avec les islamistes

Cette position ambigüe n’est pas nouvelle. Le gouvernement -une coalition hétéroclite fragile et considérée comme inefficace et corrompue par une majorité de Pakistanais- se retrouve coincé entre les Etats-Unis, principaux bailleurs de fonds, et une opinion publique très majoritairement anti-américaine, y compris parmi les élites. «Les Etats-Unis ont toujours ignoré les intérêts du Pakistan, faisant de l’Inde (le grand ennemi) un partenaire stratégique», explique à 20 Minutes Karim Pakzad, chercheur à l’Iris, spécialiste de la région.

Ce conflit avec l’Inde autour du Cachemire, dont une partie est musulmane, explique également en partie les relations ambiguës entretenues avec les militants islamistes, que le Pakistan a abrités pour des raisons stratégiques. Les liens avec l’Afghanistan entrent aussi en ligne de compte. «A l’époque de l’invasion soviétique, les Etats-Unis ont soutenu les extrémistes des partis islamistes dans leur lutte contre le communisme, rappelle Karim Pakzad. Mais après la défaite de l’URSS, les Occidentaux ont abandonné l’Afghanistan aux mains des talibans.» Depuis, une partie des services secrets pakistanais (ISI) a toujours été soupçonnée de soutenir ces derniers.

L’aide financière des Etats-Unis remise en cause?

L’émergence d’un mouvement extrémiste dans les zones tribales du Pakistan, à l’origine de nombreux attentats meurtriers dans le pays, a toutefois changé la donne, relève le chercheur. Tout comme l’évolution des relations entre le gouvernement pakistanais et celui du président afghan, Hamid Karzaï, qui négocient ensemble avec les talibans. Autant de raisons qui pourraient expliquer que le Pakistan a fini par lâcher Oussama ben Laden, suggère Karim Pakzad.

Reste à savoir comment les relations entre le Pakistan et les Etats-Unis vont désormais évoluer. Barack Obama va devoir composer avec des parlementaires qui estiment qu'il est temps de revoir l'aide financière et militaire fournie au Pakistan, d’un montant de 20 milliards de dollars depuis les attentats du 11 septembre 2001. Une aide qui avait justement pour but d'aider l'armée pakistanaise à lutter contre les activistes réfugiés sur son territoire.

Le Pakistan demeure toutefois incontournable dans la stratégie américaine en Afghanistan, les deux pays voisins étant contraints de coexister. Et Karim Pakzad de conclure: «Les Etats-Unis cherchent une porte de sortie en Afghanistan. Si le Pakistan facilite cette porte de sortie, alors pourquoi pas.»

 

Le messager

Le président pakistanais, Asif Ali Zardari, a assuré que «notre aide pour identifier un messager de Ben Laden a conduit en fin de compte aux  événements de ce jour». C'est en pistant ce messager que la CIA est remontée  jusqu'à la résidence ultra-sécurisée qui abritait Ben Laden. La secrétaire d'Etat  américaine, Hillary Clinton, a en effet assuré que la «coopération» du Pakistan avait aidé les Etats-Unis à localiser le chef d'Al-Qaida.