«La Libye penche entre la révolution et la guerre civile»

INTERVIEW Riadh Sidaoui, spécialiste du monde arabe, décrypte les événements dans le pays, alors que le mouvement de contestation qui ébranle depuis près d'une semaine le régime a gagné la capitale...

Propos recueillis par Bérénice Dubuc
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Des manifestants grimpent sur des poteaux devant un bâtiment de la sécurité intérieure à Benghazi, en Libye, le 20 février 2011.
Des manifestants grimpent sur des poteaux devant un bâtiment de la sécurité intérieure à Benghazi, en Libye, le 20 février 2011. — REUTERS/Youtube

Après la Tunisie et l’Egypte, la Libye? Le régime de Mouammar Kadhafi connaît, depuis une semaine, un soulèvement populaire, comme ceux qui ont mené à la fin de règne de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte. Le colonel Kadhafi peut-il à son tour tomber? Elements de réponse avec Riadh Sidaoui, spécialiste du monde arabe, et directeur du Centre arabe de recherches et d'analyses politiques et sociales (Caraps).

 

La Libye de Mouammar Kadhafi est-elle en proie à une révolution, comme en ont connu la Tunisie ou l’Egypte?

Pour réussir, une révolution doit regrouper trois facteurs. Le premier, la radicalisation de l’opposition populaire, qui ne demande plus seulement des réformes mais veut la tête de celui qui incarne le régime. Le deuxième, une division au sein de l’élite du pouvoir, un esprit de corps fragmenté. Le troisième, la neutralité de l’armée ou sa trahison envers le régime.

Ces trois facteurs sont-ils réunis en Libye?

Oui. Ali al Essawi, l'ambassadeur de la Libye en Inde a démissionné pour protester contre la répression des manifestations, tout comme un autre diplomate libyen en poste en Chine ou le représentant libyen à la Ligue arabe. Il n’y a plus d’union sacrée à la tête du pays, alors que les manifestants sont toujours dans la rue. Mais attention, la Libye n’est pas la Tunisie ou l’Egypte.

En quoi?

Au niveau politique par exemple. La Libye n’est pas un pays moderne où il y a des institutions, où il y a une approche constitutionnelle: les quarante années de pouvoir de Kadhafi ont créé un vide politique total. Cumulé au fait que la société libyenne est tribale - certains chefs tribaux exigent le départ de Kadhafi, d’autres le protègeront même s’il y a un consensus pour le faire tomber - le mélange est explosif.

Ce qui signifie que l’issue ne sera pas la même qu’en Tunisie ou en Egypte?

Je crois qu’aujourd’hui, la Libye penche entre la révolution et la guerre civile. D’autant plus qu’il y a un autre élément dangereux en Libye: l’islamisme. Contrairement aux islamistes tunisiens ou égyptiens, ce sont des djihadistes, qui sont beaucoup plus radicaux. On pourrait passer du pouvoir de Khadafi à des groupuscules islamistes au pouvoir - comme en Afghanistan ou en Somalie - qui pourraient continuer de batailler entre eux pour récupérer le pouvoir complètement.

Vous n’êtes pas très optimiste…

Non. C’est un tableau très noir. Déjà ces derniers jours, la répression a été sanglante: le pouvoir a attaqué fort, à balles réelles, en envoyant des mercenaires et même avec des armes de guerre pour contrer les manifestants. C’est le chaos total. La Libye ne va pas s’en sortir rapidement. Soit Kadhafi gagne en écrasant tout le monde, soit il perd et ses vainqueurs auront sa tête. Dans tous les cas, ce sera sanglant. Car il ne faut pas oublier qu’en Libye, tout le monde est armé: les islamistes, le pouvoir, les comités révolutionnaires, l’homme de la rue.