Présidentielle en RDC : Le Prix Nobel de la paix Denis Mukwege « essaie d’exploiter la dynamique » autour de lui
interview Le gynécologue Denis Mukwege a déclaré lundi son intention de concourir lors de la prochaine présidentielle en République démocratique du Congo, actant ainsi son entrée en politique. A-t-il une chance de renverser l’ordre établi ?
- Prix Nobel de la paix en 2018 pour son action en faveur des femmes violées, le docteur Denis Mukwege a annoncé sa candidature à la présidentielle de la République démocratique du Congo.
- Figure de la société civile, le médecin a décidé de se lancer en politique après des mois de tractation autour de ses intentions.
- Peut-il l’emporter ? « Si les gros poissons s’alignent derrière lui, il pourra avoir une chance », prédit Trésor Kibangula, analyste politique, qui estime que dans un scrutin présidentiel à un tour, une opposition dispersée aura du mal à renverser le président sortant.s
Il a hérité de son surnom, « l’homme qui répare les femmes », après un documentaire relatant son action en faveur des femmes violées. Prix Nobel de la paix en 2018, le médecin Denis Mukwege va tenter de sonder et séduire le cœur des Congolais. L’homme de 68 ans a annoncé lundi à Kinshasa sa candidature à l’élection présidentielle, qui se tiendra le 20 décembre prochain en République démocratique du Congo.
Cette figure de la société civile va-t-elle pouvoir bousculer l’ordre établi et ravir la place au président sortant Félix Tshisekedi, au pouvoir depuis 2019 et candidat à sa propre réélection ? Quel destin politique à venir pour ce « citoyen révolté » ? Décryptage avec Trésor Kibangula, analyste politique à l’institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence.
La candidature de Denis Mukwege est-elle une surprise ?
Pas vraiment. Il a reçu beaucoup de soutiens. De nombreuses personnalités de la société civile poussaient depuis plusieurs mois pour qu’il se présente. Ça fait déjà quelques années qu’il pense à s’engager, ça fait longtemps qu’il travaille dans l’Est du pays aux côtés des victimes de violences sexuelles. Comme il l’a déclaré hier [lundi], il pense que c’est le moment. Avant, il restait en embuscade pour que la classe politique fasse appel à lui, notamment lors de la crise de 2016. Cette opportunité n’est jamais venue. Aujourd’hui, il essaie d’exploiter la dynamique qui se crée autour de lui.
A-t-il des chances de l’emporter le 20 décembre prochain ?
C’est difficile à dire, le mode de scrutin ne comporte qu’un tour. Il y a aussi plusieurs candidats de l’opposition dont plusieurs ténors, qui se sont déjà déclarés ou ne vont pas tarder à le faire avant le 8 octobre [date limite de dépôt des candidatures]. Martin Fayulu, candidat malheureux à la dernière présidentielle qui continue à revendiquer sa victoire, sera de la partie. Moïse Katumbi, qui n’avait pas pu se présenter en 2018, empêché par le pouvoir, se présente aussi.
Il y aura aussi deux anciens Premiers ministres. Quand on ajoute à cela le Dr Mukwege, ça fait beaucoup. Pour l’opposition, ça va être compliqué de l’emporter s’il n’y a pas une dynamique qui pousserait certaines candidatures à s’effacer pour faire émerger une candidature commune. Si les gros poissons s’alignent derrière lui, là il pourra avoir une chance. Dans le contexte actuel, ça s’annonce difficile, d’où son appel à l’unité.
Denis Mukwege est mondialement connu, mais quelle est son image et sa cote de popularité au Congo ?
Il est respecté, il parle aux Congolais. Comme au niveau mondial, sa réputation est faite et c’est un motif de fierté. Mais ça ne fait pas tout. Il faut avoir des relais à travers le pays qui vont pouvoir convaincre les gens d’aller voter pour lui. Ce sera son grand défi. Il a réussi à mettre en place un groupement politique qui va participer aux élections législatives [elles se tiendront en même temps que l’élection présidentielle]. On va voir si les professeurs d’université qui se rassemblent autour de lui vont pouvoir constituer cette force de mobilisation.
Comment résumer son positionnement politique général ?
Lors de son discours d’annonce de candidature, il s’est positionné comme un homme de rupture, qui veut s’attaquer au système. Au Congo, depuis plusieurs décennies, un système politique de prédation favorise l’élite. Les différentes équipes au pouvoir se sont accaparées les ressources publiques. Après Kabila, le Congo a changé de régime mais on constate que le système a quand même été plus fort que la volonté de changement des uns et des autres. Le Dr Mukwege veut se positionner contre tout ça. Avant son engagement formel, il a toujours été prompt à prendre position pour dénoncer la violence armée dans l’Est du pays, là où il vit, pour porter la voix des victimes.
Maintenant qu’il s’est déclaré, le Dr Mukwege est-il parti pour durer en politique ? Ou un échec de sa candidature pourrait entraîner un retrait ?
S’il n’est pas élu, peut-être qu’il tentera de revenir en 2028. Dans son entourage, certaines personnes tentaient déjà de le convaincre d’attendre un éventuel second quinquennat de Félix Tshisekedi avant de tenter sa chance. S’il vient aujourd’hui, c’est aussi pour marquer le coup, pas pour faire de la figuration et partir.
En cas d’élection, comment compte-t-il se positionner envers la France ?
La République démocratique du Congo n’est pas une ancienne colonie française, il n’y a pas forcément de rapports tendus avec la France, sauf ces derniers temps avec la situation à l’est du Congo et le Rwanda. Avec Denis Mukwege, ça ne devrait pas révolutionner les rapports habituels bilatéraux entre le Congo et la France.