Haut-Karabakh : « On laisse crever 120.000 personnes », le « SOS » des Arméniens de Marseille

MANIFESTATION Entre 1.000 et 5.000 personnes se sont rassemblées sur le Vieux-Port de Marseille en soutien aux Arméniens du Haut-Karabakh qui ont fui la région suite aux assauts de l’Azerbaïdjan

Mathilde Ceilles
Sur le Vieux-Port de Marseille, les manifestants en soutien aux Arméniens ont dénoncé notamment le manque de réaction de la communauté internationale face à la situation au Haut-Karabakh.
Sur le Vieux-Port de Marseille, les manifestants en soutien aux Arméniens ont dénoncé notamment le manque de réaction de la communauté internationale face à la situation au Haut-Karabakh. — Christophe Simon / AFP
  • Entre 1.000 et 5.000 personnes se sont rassemblées sur le Vieux-Port de Marseille en soutien à l’Arménie après l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh.
  • Les manifestants dénoncent notamment une action insuffisante de la communauté arménienne alors que des centaines de milliers de personnes ont quitté la région.
  • Le maire de Marseille a appelé à des sanctions financières fortes envers le président de l’Azerbaïdjan mais aussi Erdogan.

« Votre indifférence a un prix. » Une goutte de sang rouge a été dessinée sur la pancarte que Chakéuari brandit haut, sous l’ombrière du Vieux-Port de Marseille. Mais c’est un autre liquide, salé, qui a coulé il y a quelques jours sur les joues de la jeune femme. Ce même liquide qui la pousse dehors en ce dimanche anormalement chaud d’octobre, emmitouflé dans les couleurs arméniennes de ses ancêtres. Dans la deuxième ville de France, la communauté arménienne est généralement estimée à quelque 80.000 personnes, arrivée notamment dans les années 1920 après les massacres et déportations par les troupes de l’empire ottoman.

Sous sa pancarte, la jeune femme cache ses yeux derrière ses lunettes de soleil, mais l’émotion est palpable. « Quand j’ai vu ce qu’il se passait, quand j’ai vu la dissolution, j’étais dans le bus, et j’ai commencé à pleurer, confie-t-elle. C’est une partie de notre pays qui va arrêter d’exister, et on a l’impression d’être impuissant. »

« Un cri de ras-le-bol »

Autour d’elle, entre 1.000 selon la police et 5.000 personnes se pressent sous l’ombrière, dans le cadre d’une large mobilisation de la communauté arménienne en France et en Europe, notamment à Bruxelles, siège des institutions de l’Union européenne. « Nous sommes tous concernés, car ces Arméniens, ce sont nos compatriotes, s’alarme Veronica. Je vis en France depuis onze ans et je suis très inquiète. Je suis originaire d’une ville près du Haut-Karabakh et j’ai des proches qui y vivent. Ils sont exilés aujourd’hui, sur les routes. »

Quinze jours après l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan poussant à l’exode des milliers de personnes, les larmes de sidération des premiers jours se couplent désormais à une colère qui ne se veut plus sourde. Il s’agit au contraire de faire résonner un cri de détresse face à une action de la communauté internationale que la diaspora arménienne, venue de la cité phocéenne, mais aussi d’Avignon et même Toulouse, estime insuffisante. « C’est un cri de ras-le-bol, un SOS, tempête Julien Harounyan, président du conseil de coordination des associations arméniennes de France pour le sud du pays. On laisse crever 120.000 personnes et ça me provoque un grand écœurement de voir les grandes puissances qui laissent faire. Aujourd’hui, nous entrons en résistance, car ne pas se battre, c’est se résigner et c’est cautionner. » « Ce qui se passe est une épuration ethnique, clame Denise. C’est le premier génocide du XXIe siècle et personne n’en parle. Je suis en colère face à l’indifférence de l’Union européenne. »

« C’est toute l’Arménie qui risque de disparaître »

« Le ministère des finances doit désormais et sans délai bloquer les avoirs d’Aliyev (le président arménien NDLR), de ses frères, de ses sœurs, de ses enfants, de leurs alliés, de leur gouvernement, réclame sur la scène le maire de Marseille Benoît Payan, inaugurant une longue série de prises de parole d’élus locaux venus soutenir les Arméniens. À Paris, nous devons bloquer les avoirs d’Erdogan, de ses amis, de ses alliés. » Et d’appeler également à l’envoi des « casques bleus » sur place. Dans une tribune publiée dimanche sur le site du journal Le Monde, des maires de grandes villes françaises et d’autres élus demandent à « la France et l’Union européenne (à) poser des actes forts en faveur de la protection des populations et du processus de paix ».

« C’est toute l’Arménie qui risque de disparaître, craint Gayané. Cette fois, soit les hommes politiques se bougent le cul, soit on est foutu. Ils aident l’Ukraine, ils peuvent aussi nous aider non ? » La Marseillaise pointe sa voisine. « Je manifeste pour l’Arménie depuis 47 ans, depuis que je suis là, dans le ventre de ma mère. Et c’est toujours les mêmes manifestations pour notre pays. Il y a eu les manifestations pour la reconnaissance du génocide, contre la guerre en 2020. Et on est là aujourd’hui. Et après ? Que va-t-il se passer ? » À ses côtés, sa mère Virginie soupire : « Défendre l’Arménie, c’est un combat sans fin. »