Inondations en Libye : L’urgence humanitaire confrontée aux « difficultés d’accès » des ONG
casse-tête Les inondations dévastatrices ont endeuillé le pays. Comme pour le Maroc, l’aide internationale s’organise, avec cette fois des difficultés logistiques plus prégnantes
- En Libye, un tsunami a englouti la ville de Derna à l’est du pays, après le passage de la tempête Daniel dans la nuit de dimanche à lundi. Le bilan flirte avec les 4.000 morts.
- Contrairement au Maroc, l’aide humanitaire est plus complexe à coordonner dans un pays en guerre, plus difficile d’accès.
- Nicolas Vercken (Oxfam France), Matthieu Chantrelle (Médecins sans Frontières) et Jean-François Corty (Médecins du Monde) livrent leurs éclairages sur une situation d’aide humanitaire complexe.
Des scènes apocalyptiques, un bilan humain désastreux, des dizaines de milliers de disparus. En Libye, les inondations ont englouti la ville de Derna, à l’est d’un pays coupé en deux par une sévère crise politique. Les eaux ont emporté près de 4.000 personnes, quelques jours après un tremblement de terre meurtrier à plus de 2.000 kilomètres, au Maroc. Econduite (pour l’instant) par les autorités marocaines, la France n’a pas tardé à marquer sa solidarité avec la Libye en déployant une aide d’urgence : un hôpital mobile et une cinquantaine de sapeurs-pompiers sont mobilisés. Plusieurs tonnes de matériel vont être envoyées.
Comme pour le Maroc, de nombreux pays et organisations internationales ont promis vivres, secours et soins à la Libye. Mais, contrairement à son voisin maghrébin, le pays dans son entièreté et la zone sinistrée de Derna sont difficiles d’accès, notamment pour les ONG et les associations humanitaires.
A la manière de l’aide en Syrie après le tremblement de terre, elle s’annonce difficile à orchestrer en Libye. « Sur le long terme, le besoin de développement et de reconstruction des infrastructures est beaucoup plus important en Libye qu’au Maroc, commente Nicolas Vercken, directeur des campagnes et du plaidoyer chez Oxfam France. Est-ce qu’on est déjà présent sur place ? Si on n’y est pas, quelle capacité à être opérationnel rapidement, à moindre coût, de manière efficace et sécurisée ? On se pose tous ses questions. En Libye, on a déjà fait plusieurs missions, et on n’a jamais été en mesure d’avoir une capacité d’exploitation pertinente pour sécuriser notre staff et avoir une intervention utile ».
Le problème du visa
Les interventions bilatérales de pays se succèdent, et l’un des enjeux va consister en la « coordination de tous ces efforts sur le terrain pour pouvoir les diriger de manière efficace vers les populations et les zones qui en ont besoin », indique Matthieu Chantrelle, responsable adjoint du programme Libye chez Médecins sans Frontières.
L’ONG, présente « à l’ouest du pays » dans la ville de Tobrouk depuis mardi est en route pour Derna avec « du matériel médical et des sacs mortuaires », sans garantie que l’ouverture causée par cette catastrophe se pérennise. « Des visas sont nécessaires pour se rendre en Libye et les autorités n’en ont délivré que très peu pour MSF depuis plusieurs années. Les ONG sont en train de se mobiliser mais sont encore peu présentes en raison des difficultés d’accès. Beaucoup d’incertitudes demeurent sur ce qu’il sera possible de faire dans le futur », précise le responsable.
Des « alliances inattendues » peuvent survenir en cas de catastrophe
Dans ce pays en guerre, « il faut avoir des ancrages antérieurs, des bases arrière et une logistique administrative et de sécurité pour intervenir », confirme Jean-François Corty, chercheur associé à l’IRIS et vice-président de Médecins du Monde. Avant de rappeler qu’une telle crise peut provoquer des « alliances inattendues » ou dégeler certaines relations. Ainsi, malgré les tensions, l’Algérie, qui avait fermé son espace aérien au Maroc depuis deux ans, a autorisé le survol de son ciel pour faciliter certains convois humanitaires. « En 2003, après le séisme de Bam en Iran, les Etats-Unis avaient envoyé des avions pour aider la population », ajoute le spécialiste.
Alors qu’une « vague de solidarité de la société civile libyenne » s’organise, la tâche humanitaire s’annonce immense : « stabiliser et évacuer les blessés et les malades en état critique, rétablir la continuité des soins [notamment pour les patients souffrant d’une affection chronique], aider les sans-abri [abris, eau, nourriture, biens de première nécessité] et plus généralement reconnecter les réseaux détruits par la catastrophe », détaille Matthieu Chantrelle, qui précise que des « besoins en santé mentale », seront nécessaires pour les personnes affectées. Avec une difficulté supplémentaire, compte tenu de la situation politique : « La guerre entache la capacité de réponse des autorités », conclut Jean-François Corty.