Algérie : La mort de deux touristes en jet-ski, dont un Français, vire à l’imbroglio diplomatique
Tirs•Deux hommes sont morts et un autre a été blessé et incarcéré après cette rencontre avec les garde-côtes algériensD.R. avec AFP
L'essentiel
- Deux vacanciers, dont un Français, ont été tués mardi en mer par des gardes-côtes algériens alors qu’ils se déplaçaient en jet-skis.
- Un rescapé de ce drame explique que les vacanciers s’étaient perdus en mer et étaient à cours d’essence quand les garde-côtes algériens leur ont tiré dessus.
- De son côté, Alger assure que les garde-côtes ont effectué des « tirs de sommation » et que les tirs réels sont une conséquence du « refus d’obtempérer » des vacanciers.
EDIT du 4 septembre à 20 heures : Après la mort de deux vacanciers, dont un Franco-Marocain, tués par des tirs attribués à des garde-côtes algériens, le Maroc et la France ont ouvert chacun une enquête. Cette enquête, pendante à l’enquête marocaine, a été ouverte pour homicide volontaire et confiée à la brigade criminelle de la police judiciaire de Paris, a précisé le parquet lundi. Elle doit permettre notamment d’avoir un cadre juridique pour recueillir des éléments.
Deux vacanciers ont été tués mardi par des garde-côtes algériens alors qu’ils s’étaient égarés en jet-skis dans une zone maritime algérienne à la frontière avec le Maroc. Un troisième homme, qui serait également franco-marocain, Smaïl Snabé, a été arrêté par les garde-côtes algériens. Quelles sont les différentes versions de ce drame ? En quoi le contexte diplomatique est-il important ? 20 Minutes fait le point pour vous.
Quelle est la version des vacanciers ?
Selon les médias marocains et les avocats des familles, Bilal Kissi, un vacancier franco-marocain et son cousin Abdelali Mechouar, titulaire d’un titre de séjour régulier en France, ont été tués par les garde-côtes algériens, après s’être égarés.
Ils étaient partis de la station balnéaire de Saïdia (nord-ouest), à la frontière avec l’Algérie, à bord de jet-skis, selon le témoignage du frère aîné de Bilal Kissi, Mohamed qui a pu regagner la plage. Un autre membre du groupe, Smaïl Snabé, également franco-marocain, a été blessé, selon Mohamed Kissi cité par les médias, et est détenu en Algérie.
« On voit le zodiac algérien de la gendarmerie algérienne. On les voit arriver, ils nous foncent dedans », se remémore Mohammed Kissi sur BFMTV. Son frère lui faisant un geste de la main pour lui dire de rentrer, il fait demi-tour. « Ça a commencé à rafaler derrière nous. Moi je n’ai pas été touché mais je suis tombé en panne », explique celui qui a ensuite été récupéré par la marine marocaine. « Ils ont tué mon frère et mon ami », conclut-il.
Quelle est la version d’Alger ?
L’Algérie a contesté cette version des faits, assurant que les vacances avaient « refusé d’obtempérer ». « Lors d’une patrouille de sécurisation et de contrôle au niveau de nos eaux territoriales, une unité des garde-côtes a intercepté, mardi à 19h47 (20h47, heure française), trois jet-skis ayant franchi clandestinement nos eaux territoriales », a indiqué le ministère algérien dans un communiqué.
« Après avoir lancé un avertissement sonore et les avoir sommés de s’arrêter à plusieurs reprises, les mis en cause ont refusé d’obtempérer et ont pris la fuite en effectuant des manœuvres dangereuses », selon la même source. Après plusieurs « tirs de sommation », « des coups de feu ont été tirés contraignant un des jet-skis à s’immobiliser, alors que les deux autres ont pris la fuite », a ajouté le ministère.
Le ministère a expliqué ces tirs par « une activité accrue de bandes de narcotrafic et du crime organisé » dans cette zone frontalière, et en raison de « l’obstination des passagers des jet-skis ». Le ministère a demandé dans son communiqué de « ne pas prêter attention aux fausses informations qui circulent visant à nuire à l’image honorable de l’Armée » algérienne.
Comment Paris a réagi à ce drame ?
La France a confirmé la mort d’un Français d’origine marocaine et « l’incarcération d’un autre compatriote en Algérie dans un incident impliquant plusieurs de nos ressortissants ». « Le centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et nos ambassades au Maroc et en Algérie sont en contact étroit avec les familles de nos concitoyens, à qui nous apportons tout notre soutien », précise un communiqué. « Nous sommes en contact avec les autorités marocaines et algériennes. Le parquet a été avisé », a également indiqué une porte-parole du ministère. Contacté, le ministère des Affaires étrangères n’a pas répondu.
Quel est le contexte diplomatique ?
Ce drame intervient dans un contexte de tensions entre l’Algérie et le Maroc, exacerbé par leur antagonisme sur le Sahara occidental, considéré comme un « territoire non autonome » par l’ONU en l’absence d’un règlement définitif. Les indépendantistes du Polisario réclament un référendum d’autodétermination prévu par l’ONU en 1991 mais jamais organisé. Le Maroc, qui contrôle près de 80 % du territoire, propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté.
Les frontières entre le Maroc et l’Algérie sont fermées depuis 1994 et Alger a rompu ses liens diplomatiques avec Rabat en août 2021, l’accusant d'« actes hostiles », une décision « complètement injustifiée », selon le Maroc. La récente reconnaissance par Israël de la « souveraineté marocaine » sur le territoire disputé du Sahara occidental a encore avivé les tensions avec Alger qui a dénoncé des « manœuvres étrangères » à ses portes. Ce drame est susceptible de raviver les vives frictions régionales entre l’Algérie et le Maroc.
A quelles suites judiciaires peut-on s’attendre ?
Une plainte sera déposée « lundi ou mardi » pour « assassinat aggravé, tentative d’assassinat aggravé, détournement de navire et non-assistance à personne en danger », a indiqué dimanche Me Hakim Chergui, l’un des avocats de la famille des victimes [lire notre EDIT ci-dessus]. « La rupture des relations diplomatiques entre le Royaume du Maroc et la République algérienne, à l’initiative de cette dernière, ne saurait justifier la commission du moindre crime et encore moins, l’impunité de ses auteurs », écrivent dans un communiqué Me Chergui et Me Ghizlane Mouhtaram qui défend la famille au Maroc.
« C’est la raison pour laquelle, contraints par le mutisme des autorités algériennes, sur le territoire desquelles les assassinats ont eu lieu, ils n’ont pas d’autres choix que de recourir à la justice française pour que toute la lumière soit faite sur ce drame d’une cruauté sans nom », ajoutent les deux avocats. De plus, le parquet d’Oujda, ville du nord-est marocain limitrophe de l’Algérie, a ordonné mercredi l’ouverture d’une enquête pour déterminer les circonstances « d’un incident violent en mer », selon une source judiciaire à l’agence marocaine MAP.