Elections en Turquie : Déterminante dans la campagne, l’extrême droite peut-elle influencer le prochain mandat ?

duel à droite toute Les électeurs turcs sont appelés à départager Erdogan et son adversaire Kemal Kiliçdaroglu dimanche prochain pour le second tour de l’élection présidentielle

Cécile De Sèze
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Campagne électorale du président turc et candidat à la présidence de l'Alliance populaire, Recep Tayyip Erdogan, à Istanbul, Turquie, le 25 mai 2023.
Campagne électorale du président turc et candidat à la présidence de l'Alliance populaire, Recep Tayyip Erdogan, à Istanbul, Turquie, le 25 mai 2023. — Tolga Ildun//SIPA
  • Le résultat de l’élection présidentielle en Turquie sera connu dimanche à l’issue du vote du second scrutin.
  • Recep Tayyip Erdogan est en bonne position pour l’emporter sur son adversaire Kemal Kiliçdaroglu alors que la campagne aura été marquée par les thématiques de l’extrême droite.
  • Comment le récit nationaliste s’est-il imposé dans l'entre-deux-tours ? Pèsera-t-il dans le prochain mandat présidentiel ? Pourquoi a-t-il autant de succès en Turquie ? Réponses avec Adel Bakawan, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste du Moyen Orient, contacté par 20 Minutes.

Recep Tayyip Erdogan se rapproche de sa réélection. Il devance son adversaire, Kemal Kiliçdaroglu, de plus de trois points, à trois jours du second tour de l’élection présidentielle en Turquie prévu dimanche. Peu importe le dénouement, cette campagne aura été marquée par un discours de plus en plus assumé, celui de l’extrême droite.

Comment cette thématique nationaliste s’est-elle imposée dans la campagne ? Fera-t-elle partie de la ligne politique du prochain mandat présidentiel ? Quelles sont les raisons de son succès ? « Depuis toujours le discours nationaliste est bien déterminant en Turquie », explique à 20 Minutes Adel Bakawan, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste du Moyen Orient.

Comment l’extrême droite s’est-elle imposée dans la campagne présidentielle turque ?

La République turque a vu fleurir le discours nationaliste pendant cet entre-deux-tours. L’opposant principal d’Erdogan a même changé son fusil d’épaule et adopté un récit d’extrême droite après le premier tour. Kemal Kiliçdaroglu se disait pourtant modéré et porteur d’idées libérales, pour la démocratie. Depuis, il a « radicalement changé de ton jusqu’à promettre l’expulsion de tous les Syriens réfugiés en Turquie », note Adel Bakawan. Ils sont officiellement 3,7 millions à avoir fui la guerre et la répression de Bachar al-Assad sur le sol turque.

Désormais, « les dominants s’orientent vers ce cadre de réflexion comme si c’était la seule grille de lecture déterminante lors d’un vote », développe le spécialiste du Moyen-Orient. La Turquie se trouve dans un environnement géopolitique particulier, entre la Syrie en guerre depuis dix ans, l’Irak et son « Etat pratiquement inexistant » ainsi que l’Iran « maudit par la communauté internationale », énumère le chercheur. Alors « la seule chose qui compte, c’est la puissance militaire », la puissance de la Turquie dans un environnement hostile. « Le nationalisme est consolateur, on s’y sent bien », abonde à l’AFP l’historien français Etienne Copeaux, spécialiste du nationalisme turc, qui évoque un « consensus obligatoire », un « catéchisme » consubstantiel à la nation forgée par Mustafa Kemal Atatürk.

Le prochain mandat présidentiel sera-t-il marqué à l’extrême droite ?

Sauf énorme surprise, Erdogan devrait l’emporter face à Kemal Kiliçdaroglu. Ce changement de ton radical risque de faire perdre des suffrages à l’opposant du président sortant, sachant que dans les zones kurdes, 75 % des électeurs ont voté pour lui. « Son discours ne tient pas, il est pragmatique, alors qu’Erdogan exploite le récit de la religion, de l’histoire, de manière cohérente pour se faire élire, il est alors davantage crédible », souligne Adel Bakawan. Mais devra-t-il maintenir cette ligne d’extrême droite une fois élue ? Erdogan a reçu le soutien du troisième homme du premier tour, l’ultranationaliste Sinan Ogan, fort de ses 5,2 % de suffrages.


S’il est élu, il est probable qu’Erdogan devra alors « gérer l’extrême droite de manière subtile, sans jamais la brutaliser mais sans les laisser prendre toute la place non plus », analyse le chercheur. Adel Bakawan ne prédit par pour autant un durcissement de la ligne politique de l’actuel chef de l’Etat. « Confortablement réélu, il se présentera comme un rassembleur, respecté à l’intérieur et à l’extérieur, avec la volonté d’apaiser la société turque », avance le spécialiste selon qui « on sera davantage dans la continuité. »

Comment expliquer un tel succès du récit nationaliste ?

L’extrême droite en ressortira certainement plus forte et peut prendre du poids à la suite de cette élection. Dans un pays qui rame économiquement, où le coût de la vie est très cher, pourquoi cette préoccupation nationaliste est-elle si partagée dans la société ? Plusieurs aspects peuvent l’expliquer, avec en premier lieu la présence massive de réfugiés syriens, « un élément fondamental » du discours d’extrême droite, selon Adel Bakawan. Par ailleurs, l’Etat turc a construit un « discours autour d’un ennemi au bord du pays, le PKK, considéré comme terroriste et comme une menace pour la sécurité nationale », explique le spécialiste.

Enfin, le contexte du Moyen-Orient dans son ensemble joue également un rôle, notamment depuis l’accord historique entre l’Iran et l’Arabie saoudite « pour renforcer la région sur un modèle autoritaire, très loin de la démocratisation du Moyen-Orient », ajoute Adel Bakawan. « Dans cet environnement, la société turque est très sensible au discours nationaliste, la politique d’Erdogan n’est pas un modèle de démocratie, de liberté d’expression et de respect des droits humains, c’est un modèle qui correspond à ce Moyen-Orient autoritaire qui se dessine », poursuit-il. Et avec le président sortant, « on aura un Moyen-Orient cohérent qui part pour des années d’éloignement avec les droits humains, les libertés et la démocratie. »