Iran : Ce que l’on sait des milliers d’empoisonnements mystérieux de jeunes écolières
Zone d’ombre Depuis plusieurs mois, un gaz toxique répandu dans les écoles inquiète les parents d’élèves, qui appellent les autorités à agir. Une enquête a été ouverte, sans résultat pour l’instant
- En trois mois, plus d’un millier de jeunes Iraniennes dans plus de cinquante écoles ont été empoisonnées par un mystérieux gaz. D’après les médecins sur place, les écolières souffrent notamment « de maux de tête, de problèmes respiratoires, de léthargie, de nausées et d’hypotension artérielle ».
- Face à ces intoxications, la colère des parents et des opposants au régime d’Ebrahim Raïssi gronde. « Arrêtez le crime contre nos filles en dénonçant ces actes et en protestant dans les rues d’Iran », lançait une militante sur les réseaux sociaux.
- Du côté des autorités, l’enquête commence à peine et peu de résultats sont connus. Quel agent chimique est utilisé ? Qui est derrière ces empoisonnements ? Pourquoi ? 20 Minutes revient sur l’affaire des empoisonnements d’écolières en Iran.
« Je n’arrive plus à respirer », crie une jeune iranienne essoufflée. « Les enfants se sont […] évanouis », raconte un internaute. Depuis près de trois mois, des vidéos de jeunes femmes en détresse respiratoire abondent sur les réseaux sociaux iraniens. Depuis fin novembre, plusieurs dizaines d’écoles pour jeunes filles ont été ciblées par un mystérieux gaz inconnu, intoxicant ainsi plus d’un millier d’écolières. Face au mystère planant autour de ces empoisonnements, 20 Minutes vous résume ce que l’on sait ce lundi de ces intoxications en milieu scolaire.
De quels symptômes souffrent-elles ?
D’après des chiffres avancés par le Guardian, plus de 1.100 jeunes femmes ont été intoxiquées en l’espace de quelques semaines. Mais par quoi, cela reste le mystère. Certains décrivent une odeur de mandarine, d’autres d’insecticide. « Une très mauvaise odeur s’est répandue tout d’un coup, je me suis sentie mal et suis tombée sur le sol », a raconté une écolière à la télévision iranienne. Comme l’a déclaré, à l’AFP, un médecin urgentiste de la ville de Boroujerd, où plusieurs écoles ont été ciblées par ce gaz, « la plupart des élèves » présentent des « symptômes de maux de tête, de problèmes respiratoires, de léthargie, de nausées et d’hypotension artérielle ». Certaines souffrent également de vertige. Parastou, une lycéenne, a indiqué au journal Ham Mihan avoir été hospitalisée après avoir « ressenti la nausée et une douleur intense » dans la poitrine.
Pour l’instant, comme le relate la chaîne de télévision iranienne IRIB, « l’empoisonnement causé aux étudiants était très léger et n’a causé de complications à personne », explique le vice-premier ministre de la Santé Younes Panahi qui s’est exprimé lors d’une conférence de presse dimanche. Des hospitalisations d’urgences ont cependant été nécessaires pour certaines. D’après le vice-ministre de la Santé, l’agent chimique à l’origine des empoisonnements n’a pas encore été identifié.
Selon le chef de la Défense civile iranienne, le général Gholamréza Jalali, le nombre de victimes serait surévalué par un sentiment de « panique sociale ». « Je ne veux pas dire que les empoisonnements ne sont pas réels, mais instiller une peur générale pourrait augmenter considérablement le nombre des victimes », a expliqué le militaire. Une version des faits totalement contestée par les opposants du régime.
Pourquoi ces jeunes femmes sont-elles ciblées par ce gaz ?
Encore une fois, une zone d’ombre entoure le mobile de ces empoisonnements de masse. Il est cependant compliqué de ne pas y voir un lien avec le mouvement de représsion contre les femmes. Jusqu’ici, plus de 52 établissements ont été ciblés ces trois derniers mois, selon le décompte officiel. Quasiment toutes les régions du pays sont touchées. Dimanche encore, de nouveaux empoisonnements ont été rapportés dans deux lycées de filles des villes d’Abhar et d’Ahvaz, mais aussi dans une école primaire de Zanjan, selon l’agence de presse semi-officielle Isna, citant des responsables sanitaires locaux. Des écolières ont également été intoxiquées dans des écoles de la ville sainte de Machhad, de Chiraz et d’Ispahan, selon les agences Mehr et Ilna.
La semaine dernière, un responsable du ministère de la Santé avait expliqué que « certains individus » cherchaient, en menant de telles actions, à « fermer toutes les écoles, en particulier les écoles de filles ». De son côté, le vice-ministre de l’Intérieur Majid Mirahmadi a accusé les « auteurs de l’empoisonnement des filles » de vouloir « fermer les écoles », mais aussi de « faire porter le blâme sur le système » afin de « raviver la flamme éteinte des émeutes ». Ces propos font ainsi écho au mouvement historique de contestation déclenché en Iran par la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, une jeune femme détenue par la police des mœurs qui lui reprochait d’avoir enfreint loi islamique iranienne. Plus d’une dizaine de militants avaient été exécutés à la suite de ces manifestations.
Quelles réactions de la part de la population iranienne ?
Face au trouble de cette affaire, la colère des Iraniens gronde. « Arrêtez le crime contre nos filles en dénonçant ces actes et en protestant dans les rues d’Iran », lançait Narges Mohammadi, militante iranienne et opposante au régime d’Ali Khamenei, sur Instagram. « Jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas empêché la poursuite de cette violence à l’encontre de nos enfants, et n’a même pas enquêté ni trouvé de suspects », dénonçait l’activiste. Beaucoup de parents se sentent abandonnés par le gouvernement. Dimanche, alarmée, une mère d’une élève intoxiquée à Boroujerd exhortait les autorités à installer des caméras devant les établissements et à garder la porte pour « savoir qui entre et qui sort » afin de protéger les enfants. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies a demandé à Téhéran « une enquête transparente » et des conclusions publiques.
De leur côté, les autorités iraniennes réfutent toute inaction. Le président Ebrahim Raïssi a demandé vendredi à ses ministres de l’Intérieur et du Renseignement de « faire échouer le complot de l’ennemi » qui « veut semer la peur, l’insécurité et le désespoir ». Le ministre de l’Intérieur, Ahmad Vahidi, parlait, lui, samedi soir de la découverte « d’échantillons suspects » lors des « recherches sur le terrain ». Quant au guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, il réclame ce lundi des « peines sévères » contre les responsables de ces attaques. « Il n’y aura pas d’amnistie pour eux », a averti la plus haute autorité de l’Iran, qui évoquait cette affaire pour la première fois.
Pour l’instant, une seule arrestation a été rapportée, celle d’Ali Pourtabatabaei, un journaliste qui a enquêté pour le site Qomnews sur les débuts de l’affaire des empoisonnements dans la ville sainte de Qom, la première touchée fin novembre.