Etats-Unis : « Terroristes », « talibans »… Le récit de la guerre civile des républicains autour de Kevin McCarthy
CHAOS Les républicains n’ont pas réussi à se mettre d’accord pour élire McCarthy Speaker après deux jours, et le ton continue de monter avant un 7e tour de scrutin prévu jeudi
- Il n'y a toujours pas de Speaker à la Chambre des représentants après deux jours de vote.
- Donald Trump a pourtant appelé à soutenir Kevin McCarthy, mais une vingtaine d'élus frondeurs le rejettent.
- Avec une majorité de quatre sièges, la marge de manoeuvre de McCarthy est limité, et le blocage pourrait durer.
De notre correspondant en Californie,
Deux jours, six tours de scrutin, et une « House » toujours sans « Speaker ». La guerre civile qui déchire le Parti républicain pour élire Kevin McCarthy au perchoir de la Chambre des représentants s’est poursuivie, mercredi, avec une vingtaine d’élus rejetant catégoriquement un candidat pourtant soutenu par Donald Trump. Chaque faction campe sur ses positions, et le ton est monté, jusqu’à une suspension de séance chaotique dans la soirée, en attendant un nouveau vote jeudi à midi (18 heures, heure de Paris).
Après le blocage de mardi, Donald Trump tente de siffler la fin de la récré sur Truth Social, mercredi matin. « Il est temps de voter pour Kevin et de conclure le deal. Ne transformez pas un grand triomphe en une défaite embarrassante. Kevin McCarthy fera un bon boulot, et peut-être même un SUPER boulot », encourage l’ancien président, retranché pour l’hiver sous le soleil de Floride, dans sa résidence de Mar-a-Lago.
Mais son influence sur le Parti républicain touche peut-être à sa fin. « Sad ! » (« triste »), trolle Matt Gaetz, l’un des chefs de la fronde, dans un style volontairement trumpien. Confirmation à 13 heures pour le 4e tour de vote : aucun des 20 rebelles de mardi ne change son vote en faveur de Kevin McCarthy. Ils votent cette fois pour le représentant de Floride Byron Donalds, en soulignant qu’il est « historique » d’avoir deux candidats afro-américains, avec le démocrate Hakeem Jeffries.
Kevin McCarthy s’entête et perd une voix au 4e tour, avec une élue républicaine qui décide de voter « présente ».
Alcool, popcorn et « kamikazes »
Au 5e tour, c’est Lauren Boebert, réélue de justesse en novembre dans le Colorado, qui nomme à nouveau Byron Donalds. Elle dénonce la pression de son « président préféré ». Et lui recommande d’appeler Kevin McCarthy pour lui dire « Tu n’as pas les voix, il est temps de renoncer ». Mais McCarthy refuse et joue l’usure, sans succès. Le 5e tour donne le même résultat, avec les démocrates qui font bloc autour de Jeffries. Lâché par 21 républicains, McCarthy termine à 201 voix, loin des 218 de la majorité.
Une élue républicaine prend alors la parole et accuse des démocrates de se délecter du spectacle en « mangeant du popcorn et en buvant de l’alcool ». « Il n’y a pas de règle » en l’absence de Speaker, crie un membre de l’opposition. Après un 6e tour sans changement, les élus lèvent la séance jusqu’à 20 heures.
Pendant les tractations, l’élu Dan Crenshaw, un ancien Navy SEAL qui a perdu un œil en Afghanistan, dénonce dans une interview le coup de force de 20 « terroristes » qu’il qualifie ensuite de « kamikazes ». La veille, son collègue Don Bacon les avait surnommés les « 20 talibans ».
« Je ne voterai jamais pour » McCarthy
Pour comprendre ce blocage, il faut remonter 15 ans en arrière, à l’époque du Tea party. Des élus populistes anti-establishment prêts à tout faire sauter arrivent à la Chambre, refusant tout compromis, notamment sur le plafond de la dette, quitte à provoquer un « shutdown » de l’Etat fédéral. Le mouvement ne dure pas, mais donne naissance en 2015 au Freedom caucus, un groupe parlementaire d’une dizaine d’élus cofondé par Jim Jordan, Mick Mulvaney et Mark Meadows – ces deux-là deviendront ensuite chefs de cabinet de Donald Trump.
Le principe fondateur du groupe : l’opposition au Speaker républicain de l’époque, John Boehner. Qui jette l’éponge fin 2015, qualifiant le Freedom caucus de « terroristes législatifs » et « d’anarchistes qui veulent le chaos ». Kevin McCarthy est vu comme son successeur naturel, mais le groupe le rejette. Il retire sa candidature après une gaffe, et c’est finalement Paul Ryan qui joue les hommes providentiels et se saisit du marteau.
Avec une majorité républicaine actuelle de seulement quatre sièges, le Freedom caucus, qui compte aujourd’hui une quarantaine de membres, n’a jamais eu autant de pouvoir, et il est divisé sur McCarthy. Le représentant californien a rampé ces dernières semaines, leur offrant de multiples concessions, avec des postes à des comités et en rétablissant une règle permettant de déposer une motion pour tenter d’éjecter un Speaker avec seulement cinq élus. Mais les frondeurs veulent abaisser le seuil à un seul élu, comme c’était le cas avec une règle ancienne qui a rarement été utilisée. Et après une nouvelle réunion, Matt Gaetz s’est dit prêt à « voter toute la semaine, tout le mois, mais jamais pour » McCarthy.
Une avancée et une suspension de séance chaotique
Alors que l’horizon semblait plus que jamais bouché pour McCarthy, une embellie pourrait se dessiner. Un influent comité d’action politique de l’establishment républicain, le Congressional Leadership Fund, a promis de rester neutre dans de futures primaires, donnant ainsi une chance à des candidats antisystème. En échange, le Club for Growth, une organisation qui a financé des élus s’opposant à McCarthy, s’est engagé à le soutenir, ce qui pourrait, en théorie, lui apporter six voix supplémentaires. Cela ne serait pas suffisant – il lui en faudrait encore dix autres – mais lui donnerait un certain « momentum ».
Se félicitant de « progrès », Kevin McCarthy et ses alliés ont alors demandé que la séance soit suspendue jusqu’à jeudi midi. Le vote, cette fois électronique, s’est joué à la photo finish, avec une élue courant dans la Chambre pour écrire sa réponse sur un bulletin papier. Et alors que le « non » allait l’emporter, le frondeur Paul Gosar a changé son vote en « oui », permettant à tout le monde de rentrer se reposer. L’heure tourne : la Chambre ne peut pas fonctionner sans Speaker, et les employés parlementaires ne seront pas payés à partir du 13 janvier. En 1923, le vote était allé au 9e tour. En 1856, le chaos avait duré deux mois.