Manifestations en Iran : Malgré la répression sanglante, le « désenchantement » de l'Occident

Réaction Deux manifestants ont été exécutés et 11 personnes ont été jusqu’ici condamnées à mort en lien avec les rassemblements qui secouent l'Iran depuis le mois de septembre

Cécile De Sèze
Des graffitis soutenant les femmes iraniennes sont vus sur un mur de Beyrouth, au Liban, le 23 décembre 2022.
Des graffitis soutenant les femmes iraniennes sont vus sur un mur de Beyrouth, au Liban, le 23 décembre 2022. — Elisa Gestri/Sipa USA/SIPA
  • Le régime iranien a déjà exécuté deux jeunes de 23 ans pour avoir participé aux manifestations qui secouent le pays depuis le mois de septembre, 11 autres ont été condamnées à mort.
  • Face à la répression sanglante de la république islamique, la communauté internationale a surtout fait de grandes déclarations et pris quelques sanctions à l’égard du régime.
  • Pourquoi cette réponse occidentale semble aujourd’hui assez faible et tardive ? Éléments de réponses avec Myriam Benraad, professeure en relations internationales à l’université internationale Schiller à Paris et auteur de L’Irak par-delà toutes les guerres (Cavalier bleu).

L’Iran exécute en toute impunité. Face aux manifestations qui secouent le pays depuis maintenant plus de cent jours, en réaction à la mort de Mahsa Amini le 16 septembre dernier après son arrestation par la police des mœurs, le régime autoritaire ne compte pas montrer une once de souplesse. Le président iranien Ebrahim Raïssi a d’ailleurs promis ce mardi qu’il n’aura « aucune pitié » envers ceux qui affichent leur hostilité à l’égard de la république islamique.

Dans les faits, déjà deux jeunes de 23 ans arrêtés pour avoir manifesté ont été exécutés. Et selon le pouvoir judiciaire, 11 personnes ont été jusqu’ici condamnées à mort en lien avec les manifestations. D’après Amnesty, outre ces 11 condamnés, 15 autres personnes sont inculpées d’infractions punies de la peine capitale. En face, la communauté internationale réagit avec une « certaine faiblesse en dehors de déclarations de forme », selon Myriam Benraad, professeure en relations internationales à l’université internationale Schiller à Paris et auteur de L’Irak par-delà toutes les guerres (Cavalier bleu), contactée par 20 Minutes.

Qu’a dit ou fait la communauté internationale pour protester contre la répression ?

Outre les exécutions, en près de trois mois, des centaines de personnes ont perdu la vie, dont des dizaines de membres des forces de sécurité, et des milliers ont été arrêtées. Quand les manifestants sont libérés, ils témoignent de torture, de viols, de passages à tabac. Certains s’ôtent la vie une fois sortis de prison. En réponse à la violente répression du régime iranien contre son propre peuple, l’Union européenne a imposé, lundi, une nouvelle série de sanctions contre Téhéran. L’UE s’en est ainsi prise à un haut dignitaire religieux, 15 responsables militaires et quatre membres de l’IRIB, la radio télévision d’Etat, en les inscrivant sur sa liste noire des personnes interdites d’entrée dans l’UE. Bruxelles a également frappé huit fabricants de drones et des commandants de l’armée de l’air, que les 27 pays européens accusent d’être impliqués dans la fourniture de drones à la Russie pour sa guerre en Ukraine.

De son côté, Washington a imposé le 21 décembre des sanctions économiques à l’encontre du procureur général iranien, ainsi que plusieurs responsables et une entreprise qui fabrique des équipements pour les forces de l’ordre du pays. Les cinq personnes ciblées par ces sanctions sont mises en cause pour des « violences continues contre les manifestants ». Parmi elles, le procureur général d’Iran, Mohammad Jafar Montazeri, qui « a donné une directive aux tribunaux pour qu’ils agissent "de manière décisive" et infligent des peines sévères à de nombreuses personnes arrêtées lors des manifestations », détaille le département américain au Trésor. Ses avoirs aux Etats-Unis sont alors gelés, et toute personne réalisant une transaction financière avec lui est également passible des mêmes sanctions. « Nous dénonçons l’intensification de l’usage de la violence par le régime iranien contre son propre peuple qui défend leurs droits humains », a par ailleurs déclaré le sous-secrétaire au Trésor chargé du terrorisme et du renseignement financier, Brian Nelson.

Pourquoi cette réaction paraît faible et tardive ?

Avec le contexte de la guerre en Ukraine, l’Iran ne semble pas être la priorité de l’Union européenne, elle « est sur d’autres dossiers et, de plus, ses moyens sont restreints », souligne Myriam Benraad. « Elle consciente de ce qu’il se passe mais aussi de sa faiblesse », ajoute la professeure en relations internationales. De son côté, Washington « gère les crises sans coordination claire avec les pays européens, il n’y a pas de dialogue commun dans le "camp occidental", qui est par ailleurs très fragilisé », analyse-t-elle.

Mais ce qui retient le plus les pays occidentaux de réagir avec vigueur face au régime iranien, c’est le traumatisme d’autres soulèvements au Moyen-Orient. Après le printemps arabe, le temps des démocraties n’est pas vraiment arrivé. « En Syrie par exemple, Bachar al-Assad a repris la main et le régime est encore pire qu’avant 2011 », illustre Myriam Benraad. Ce qui effraie cette communauté internationale censée défendre les droits humains et les libertés fondamentales, c’est un changement de régime, un bouleversement, une déstabilisation, craignant que le résultat soit pire qu’avant. « Non pas qu’ils apprécient le régime actuel, nuance Myriam Benraad, mais l’EU et les Etats-Unis sont un peu désabusés. Il y a un désenchantement face aux soulèvements qui devaient conduire à une démocratisation des pays du Moyen-Orient ».

Outre des sanctions, que peut faire l’Occident pour empêcher ces exactions ?

Les sanctions engagées contre l’Iran n’ont, par ailleurs, pas d’effets sur la politique menée par le régime. Déjà sous sanctions américaines depuis des décennies dans le cadre de son développement du nucléaire, Téhéran parvient à les contourner, elles se sont normalisées. « Les sanctions sont importantes mais pas au point d’empêcher la répression du régime ou d’avoir coupé la marge de manœuvre de l’Iran sur ses voisins », analyse Myriam Benraad.

Alors quelle autre solution reste-t-il à l’Occident pour limiter cette sanglante répression contre un peuple qui réclame sa liberté ? « Les armes, tranche la professeure en relations internationales. Le seul moyen pour les démocrates de prendre le pouvoir, c’est par la confrontation armée. Ils pourraient ainsi envoyer des armes aux manifestants car ce mouvement veut la peau du régime. » Toutefois Myriam Benraad ne croit pas en cette solution « car on ne sait pas ce qui en ressortirait ». « La fin du régime ne signifierait pas forcément la démocratie. » Un envoi d’armes aux manifestants impliquerait par ailleurs les pays occidentaux dans le conflit. Et le précédent syrien, là encore, ne motive pas la communauté internationale à réitérer cette action. Finalement, « personne ne se soucie réellement de ce que les manifestants deviennent », selon Myriam Benraad. Ils sont seuls dans leur combat face au régime meurtrier.