Royaume-Uni : C’est quoi ce projet d’expulsions systématiques des demandeurs d’asile vers le Rwanda ?
Immigration Cette mesure très controversée, annoncée en avril dernier sous la mandature de Boris Johnson, permet en toute légalité d’envoyer les migrants clandestins au Rwanda, peu importent leurs nationalités
- La justice britannique a donné ce lundi son feu vert à l’expulsion des demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni vers le Rwanda, un projet lancé en avril dernier.
- Cette décision intervient plusieurs mois après le recours d’associations et de la Cour européenne des droits de l’homme. A présent, le gouvernement de Rishi Sunak va pouvoir démarrer sa politique anti-immigration comme il le souhaite.
- 20 Minutes revient sur cette mesure très controversée dénoncée par les ONG mais encouragée par la droite et l’extrême droite anglaise.
Lundi, la Haute Cour de justice britannique a validé le projet d’expulsion vers le Rwanda des demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni. Cette mesure très controversée, annoncée en avril dernier sous la mandature de Boris Johnson, permet en toute légalité d’envoyer les migrants clandestins au Rwanda, peu importent leurs nationalités. « Nous saluons cette décision et sommes prêts à offrir aux demandeurs d’asile et aux migrants l’occasion de bâtir une nouvelle vie au Rwanda », a déclaré dans la foulée la porte-parole du gouvernement rwandais Yolande Makolo, en parlant d’une mesure « positive » pour résoudre la crise mondiale des migrations. 20 Minutes revient sur la décision de la justice britannique alors que les premiers avions en direction de la capitale rwandaise, Kigali, pourraient décoller prochainement.
Que s’est-il passé ce lundi au Royaume-Uni ?
La justice britannique a donné son feu vert à l’expulsion vers le Rwanda de demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni, un projet hautement controversé que le gouvernement veut déployer au plus vite. La Haute Cour de Londres a jugé le dispositif « légal » et estimé que les dispositions prévues par le gouvernement ne contrevenaient pas à la Convention de Genève sur les réfugiés.
Pourquoi Londres a-t-il mis en place cette mesure ?
Les traversées illégales de la Manche sont la bête noire du gouvernement britannique conservateur et provoquent régulièrement des tensions avec la France, d’où partent de nombreux migrants désireux de rejoindre l’Angleterre. Depuis le début de l’année, environ 45.000 sont ainsi arrivés sur les côtes anglaises, contre 28.526 en 2021. Et quatre migrants, dont un adolescent, sont morts en tentant cette traversée le 14 décembre dernier.
En envoyant les migrants arrivés clandestinement au Royaume-Uni au Rwanda, soit à plus de 6.000 km de Londres, le gouvernement Johnson entendait donc dissuader les traversées illégales de la Manche. « Les groupes criminels qui mettent la vie des gens en danger dans la Manche doivent comprendre que leur modèle économique va s’effondrer sous ce gouvernement », avait justifié Boris Johnson sur la radio LBC en juin dernier.
Comment va fonctionner cet accord avec le Rwanda ?
A la suite de l’annonce de la justice britannique, « toute personne entrant illégalement au Royaume-Uni » après le 1er janvier 2022 pourrait être à présent envoyée au Rwanda, sans limite de nombre. Les expulsions vers le Rwanda ne représentent « qu’une partie de notre plan » contre l’immigration illégale, a néanmoins expliqué le chef du gouvernement aux télévisions britanniques. Reste que Rishi Sunak, qui, comme le soulève la BBC, mène une politique similaire aux derniers Premiers ministres conservateurs anglais, a promis un « système où, si vous arrivez au Royaume-Uni illégalement, vous n’aurez pas le droit de rester ».
En vertu de son accord avec Kigali, Londres financera dans un premier temps le dispositif à hauteur de 120 millions de livres (140 millions d’euros). De son côté, le gouvernement rwandais a précisé qu’il proposerait aux migrants la possibilité « de s’installer de manière permanente ». En juin dernier, la ministre de l’Intérieur britannique Priti Patel s’était félicitée de cet accord permettant aux clandestins de « refaire leur vie en toute sécurité ».
A noter qu’en début d’année, Boris Johnson et son gouvernement auraient cherché à conclure des accords avec des pays tiers où envoyer les demandeurs d’asile arrivés clandestinement. Le Rwanda et le Ghana avaient été évoqués, mais le Ghana a fermement nié en janvier être en discussion avec le Royaume-Uni sur le sujet.
Quelles sont les réactions ?
« Nous avons toujours affirmé que notre politique à l’égard du Rwanda était légale, et je suis heureux que cela ait été confirmé aujourd’hui », a déclaré lundi Rishi Sunak dans la foulée de l’annonce de la justice britannique. L’opposition travailliste a, quant à elle, fait part de sa déception et de sa colère. Le syndicat de fonctionnaires PCS (présent notamment dans la police des frontières) a estimé que le projet gouvernemental restait « moralement répréhensible et totalement inhumain », estimant qu’un appel devait « sérieusement » être envisagé.
De son côté, Amnesty International a jugé « honteux » que « le gouvernement refuse de reconnaître que, plus il investit dans la cruauté, la punition et la dissuasion, plus il met en danger des gens désespérés qui n’ont pas d’option sûre pour arriver au Royaume-Uni ». Le Refugee Council a jugé que cette politique « cruelle », consistant à assimiler « des gens qui cherchent la sécurité à des marchandises humaines », était dommageable à la réputation du Royaume-Uni comme un pays des droits de l’Homme.
Côté Rwanda, les autorités justifient ce partenariat en invoquant le bien-être des clandestins. L’objectif pour eux étant de permettre aux immigrés qu’ils « soient protégés, respectés et qu’ils puissent réaliser leurs propres ambitions et s’installer de manière permanente au Rwanda s’ils le souhaitent », comme l’avait expliqué en juin dernier le ministre des Affaires étrangères rwandais Vincent Biruta.
Quand vont commencer les expulsions ?
Après des recours de diverses associations et de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) devant les tribunaux anglais, les expulsions n’ont jamais pu commencer. Le haut-commissariat de l’ONU aux réfugiés était même intervenu dans le dossier devant la Haute Cour, faisant valoir que « les composantes minimums d’un système d’asile fiable et juste » font défaut au Rwanda, et qu’une telle politique mènerait à de « graves risques de violations » de la convention de l’ONU sur le statut des réfugiés. Un premier vol prévu en juin avait été annulé après une décision de la CEDH qui réclamait effectivement un examen approfondi de cette politique.
Avec cette nouvelle décision et la très à droite ministre de l’Intérieur Suella Braverman, qui avait fait part de son « rêve » de voir des migrants expulsés vers le Rwanda, Rishi Sunak, qui souhaite mettre en œuvre ce projet « dès que possible », les premiers avions en direction de la capitale rwandaise Kigali pourraient décoller prochainement. La justice a toutefois demandé au ministère de l’Intérieur de revoir sa copie concernant huit migrants qui s’opposaient à leur expulsion vers le Rwanda. Le « Home Office » n’a pas suffisamment examiné leurs situations personnelles pour déterminer s’il existe, les concernant, des éléments qui s’opposeraient à leur expulsion au Rwanda.
Pour le moment, aucune date d’un premier vol n’a été communiquée par l’exécutif britannique et les associations ont jusqu’au 16 janvier pour faire appel de la décision. Reste que la patronne du « Home Office » a déclaré que ses équipes étaient prêtes « à se défendre de nouveau contre toute action en justice ».