Italie : Giorgia Meloni, une pionnière loin d’être une féministe

bien mais pas top Nombre d’Italiennes sont loin de considérer comme une alliée la nouvelle Première ministre de 45 ans, dont la devise est « Dieu, famille, patrie »

M.P. avec AFP
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Giorgia Meloni a été élue Première ministre de l'Italie le 25 septembre.
Giorgia Meloni a été élue Première ministre de l'Italie le 25 septembre. — Gregorio Borgia/AP/SIPA
  • La nouvelle Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a fermement ancré, mardi, l’Italie au cœur de l’UE et de l’Otan tout en prenant de nouveau ses distances avec le fascisme, un mois jour pour jour après la victoire historique de son parti d’extrême droite Fratelli d’Italia aux élections et l’inquiétude qu’elle a suscitée.
  • Durant ce discours de politique générale devant les députés, elle a également rendu hommage à l’action de toutes les Italiennes lui ayant permis de « grimper et briser le lourd plafond de verre placé sur nos têtes ».
  • Cependant, Giorgia Meloni n’a jamais joué la carte féminine, dans un pays en majorité catholique largement hostile au féminisme, et nombre d’Italiennes sont loin de considérer comme une alliée celle qui défend les valeurs traditionnelles, tout en s’opposant à l’avortement.

Au fil de son ascension politique, Giorgia Meloni a brisé plusieurs plafonds de verre, devenant finalement, dimanche, la première femme à diriger un gouvernement dans l’histoire d’une Italie encore marquée par le patriarcat. Mais nombre d’Italiennes sont loin de considérer comme une alliée cette Romaine de 45 ans, dont la devise est « Dieu, famille, patrie » et qui défend les valeurs traditionnelles tout en s’opposant à l’avortement.

« En fin de compte, c’est une chose positive que, pour la première fois, ce soit une femme aux fonctions de chef du gouvernement, estime Giorgia Serughetti, qui enseigne la philosophie politique à l’université Milano-Bicocca. Mais de là à dire que c’est un pas en avant pour les femmes, c’est une autre chose. »

Fratelli d’Italia, le parti post-fasciste de Giorgia Meloni, est arrivé en tête aux législatives du 25 septembre avec 26 % des voix, une victoire dans laquelle sa personnalité et ses talents d’oratrice ont joué un rôle crucial. En 2019, elle s’était présentée ainsi à un meeting politique : « Je m’appelle Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne. »

Giorgia Serughetti interprète ces propos non comme une défense des droits des femmes, mais plutôt comme « une déclaration de guerre contre ses ennemis » : les militants des droits LGBT+, les féministes ou encore les défenseurs des migrants.

« Briser le lourd plafond de verre placé sur nos têtes »

Giorgia Meloni, qui elle-même n’est pas mariée et a eu une fille avec son compagnon, n’a « jamais joué la carte féminine » dans un pays en majorité catholique « largement hostile au féminisme ».

Mardi, dans son discours de politique générale devant les députés, elle a cependant rendu hommage à l’action de toutes les Italiennes lui ayant permis de « grimper et briser le lourd plafond de verre placé sur nos têtes ». « Parmi tous les poids que je sens peser sur mes épaules aujourd’hui, il y a aussi celui d’être la première femme à la tête d’un gouvernement dans ce pays », a-t-elle ajouté.

Elle a également fermement ancré l’Italie au cœur de l’UE et de l’Otan tout en prenant de nouveau ses distances avec le fascisme. L’Italie fait « pleinement partie de l’Europe et du monde occidental », a-t-elle affirmé. « Je n’ai jamais eu de sympathie ou de proximité vis-à-vis des régimes antidémocratiques. Pour aucun régime, fascisme compris », a aussi tenu à souligner celle qui fut dans sa jeunesse une admiratrice de Mussolini, même si en août elle a assuré que la droite avait « relégué le fascisme à l’Histoire ».

Mais en dépit de son accession au pouvoir suprême, Giorgia Meloni n’est pas vue comme une remise en cause du « modèle patriarcal », souligne Flaminia Sacca, professeure de sociologie politique à l’université romaine de La Sapienza. Giorgia Meloni, une mère qui travaille, est une exception dans un pays où seule une femme en âge de travailler sur deux a effectivement un emploi. Et elle « ne remet absolument pas en cause les valeurs traditionnelles et la culture catholique », pour lesquelles elle ne constitue « pas une menace ».

« Poisson sur une bicyclette »

Et pourtant, elle a franchi bien des obstacles dans sa carrière : en 2008, elle devient, à 31 ans, la plus jeune personne à avoir été nommée ministre en Italie, dans le gouvernement de Silvio Berlusconi. Elle est aussi la première femme à la tête d’un grand parti dans un pays où peu de femmes sont arrivées à des postes politiques importants. Jusqu’ici, les femmes n’étaient parvenues à conquérir que la présidence des chambres du parlement.

Dans son autobiographie publiée en 2021, Giorgia Meloni avait argué que la présence accrue de femmes à des postes de pouvoir permettrait de « relever le niveau moral et l’efficacité de notre classe dirigeante ». Fermement opposée à toute politique de quotas, elle affirme dans son livre n’avoir « jamais vraiment subi de discriminations au cours de sa carrière politique ».

Sur ses 24 ministres, seuls six sont des femmes, tandis que sa coalition a moins de femmes parlementaires que n’importe quel autre groupe. « Giorgia Meloni est pour le féminisme comme un poisson sur une bicyclette : (…) pas à sa place », a noté avec ironie la philosophe Rosi Braidotti dans le journal La Repubblica en août dernier.

Pas faux. Le discours de Meloni sur les femmes se concentre essentiellement sur leur rôle de mères : favoriser la natalité et les familles, crèches gratuites, baisse des taxes sur les produits pour bébés, etc. « Elle ne parle pas d’émancipation ou de carrières, elle parle de mères et de leur droit à garder leur emploi », note Flamina Sacca.

De petites manifestations organisées par des jeunes se sont déroulées en Italie, principalement pour dénoncer les positions contre l’avortement de leur nouvelle Première ministre, également opposée aux adoptions par les couples de même sexe et aux mères porteuses. Cette dernière a cependant promis de ne pas toucher à la loi de 1978 autorisant l’IVG. Emma Bonino, une militante des droits des femmes qui dirige le petit parti centriste + Europe, craint pourtant que Giorgia Meloni ne « fasse pression pour que la loi soit ignorée », rendant encore plus difficile l’avortement, nombre de gynécologues recourant déjà à l’objection de conscience pour refuser de les pratiquer.