La Corée du Nord profite d’une « fenêtre d’opportunité » pour multiplier les tirs de missile
GROS BRAS Pyongyang a tiré une dizaine de missiles en l’espace de deux semaines
- La Corée du Nord a lancé ce jeudi deux nouveaux missiles balistiques et fait voler en formation 12 avions de combat.
- Pyongyang affirme que les essais d’armes sont de « justes mesures de rétorsion » contre Washington et Séoul et leurs exercices militaires dans la région.
- Le régime totalitaire profite d’un contexte international perturbé et divisé, notamment par la guerre en Ukraine et la question de Taïwan.
La Corée du Nord sort le grand jeu côté essais balistiques ces derniers mois : une dizaine de missiles, regroupés en six lancements, ont été tirés en moins de deux semaines. Ce jeudi, ce sont deux nouveaux tirs et 12 avions de combat qui ont survolé la péninsule coréenne alors que le Conseil de sécurité de l’ONU se réunissait pour évoquer un précédent lancement datant de mardi. « En nombre d’essais, c’est une année sans précédent », réagit Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique.
Particulièrement touché par la pandémie de Covid-19, Pyongyang avait ralenti le rythme de ses provocations armées depuis deux ans. Mais la reprise est bien là. « En 2019, la Corée du Nord a fait 27 essais balistiques, cette année elle est déjà à plus d’une trentaine », explique Antoine Bondaz. Ce n’est toutefois pas inhabituel pour Pyongyang de multiplier les tirs d’entraînement. Kim Jong-un a d’ailleurs fait plus d’essais balistiques en un an que son père en quinze années, souligne le spécialiste. « C’est une forme de reprise des activités routinières de la Corée du Nord », analyse pour sa part Raphaëlle Pierre, doctorante en sciences politiques à l’Inalco. D’après la chercheuse, qui a écrit une thèse sur le programme nucléaire et balistique du pays, « c’est une manière pour Pyongyang d’avoir voix au chapitre sur la scène internationale ».
La « fenêtre d’opportunité » de Pyongyang
Or, en ce moment, la Corée du Nord dispose d’une « fenêtre d’opportunité », d’après Antoine Bondaz. « Il y a aujourd’hui trois dynamiques au bénéfice de la Corée du Nord : la banalisation des essais qui se sont multipliés au fil des ans, une distraction - la communauté internationale est concentrée sur l’Ukraine - et une désunion internationale », décrypte le spécialiste. Accaparée par l’invasion russe, la communauté internationale est en effet moins concentrée sur la péninsule coréenne. Et se déchire, au profit de l’Etat dictatorial.
En mai dernier, le pays asiatique a échappé à de nouvelles sanctions de l’ONU censées punir ses essais balistiques grâce au véto de la Chine et de la Russie. « Plus il y a de dissensions entre la Chine et les Etats-Unis, plus un état comme la Corée du Nord bénéficie de marges de manœuvre ; et elle est très habile pour jouer de ces dissensions et les accroître », note Guibourg Delamotte, maîtresse de conférences à l’Inalco et chercheuse à l’Institut français de recherches sur l’Asie de l’Est. D’après elle, « la Corée du Nord est une variable d’ajustement : quand ça se passe bien entre la Chine et les Etats-Unis, Pékin vote les résolutions ». Dans le cas contraire, c’est l’occasion de s’opposer à Washington.
Prouver sa « crédibilité »
La situation internationale est donc favorable pour Pyongyang qui en profite pour « améliorer son arsenal balistique », déclare Raphaëlle Pierre. En septembre, la Corée du Nord a entériné le caractère « irréversible » de son statut de puissance nucléaire. Concrètement, cette nouvelle loi permet au régime autoritaire de lancer une frappe nucléaire préventive s’il se sent menacé. « La Corée du Nord veut être considérée comme un état doté de l’arme nucléaire et ces essais sont une façon de prouver sa crédibilité », souligne la doctorante, qui précise toutefois que le régime n’a pas l’intention d’utiliser la bombe atomique.
Pyongyang a clairement affiché son refus catégorique de se dénucléariser. « La constitution a été modifiée en 2012 pour y inscrire les armes nucléaires, c’est le seul pays au monde qui a fait ça », rappelle Antoine Bondaz. Les derniers essais balistiques de la Corée du Nord portaient sur des missiles à courte ou moyenne portée. En Occident, « on a tendance à se concentrer sur les missiles à longue portée ou les essais nucléaires mais les missiles à courte ou moyenne portée restent extrêmement importants parce qu’ils contribuent à renforcer les capacités balistiques nord-coréennes, ils sont précis et peuvent pénétrer les défenses sud-coréennes », explique Antoine Bondaz.
Des missiles contre « l’impérialisme américain »
Car les essais balistiques de Pyongyang contribuent à modifier les rapports de force dans la péninsule. Les tensions sont d’ailleurs assez palpables : la vice-présidente des Etats-Unis s’est rendue à Séoul la semaine dernière pour renforcer l’alliance de sécurité avec la Corée du Sud. Quelques heures après, Kim Jong-un a ordonné deux tirs de missiles balistiques de courte portée. Séoul, Tokyo et Washington ont multiplié les manœuvres militaires conjointes ces dernières semaines, notamment des exercices de lutte anti-sous-marine et des manœuvres navales à grande échelle. Le régime nord-coréen est très attentif aux questions géopolitiques régionales.
« Les tensions au niveau de Taïwan [entre Washington et Pékin] confortent la Corée du Nord dans l’idée que "l’impérialisme américain" est une vraie menace. Pour Pyongyang, la partie sud de la péninsule coréenne est "colonisée" par les Etats-Unis », rappelle Raphaëlle Pierre. La diplomatie internationale de Joe Biden, qui est revenu à une ligne similaire à celle de Barack Obama et n’a pas essayé de se rapprocher de Kim Jong-un contrairement à son prédécesseur, contribue aussi au regain d’agressivité de Pyongyang. Une chose est sûre pour Antoine Bondaz : « les essais vont continuer ». Reste à savoir si le prochain sera un essai nucléaire - qui serait le septième de la Corée du Nord - un essai de missile balistique intercontinental (comme le Hwasong-17) ou des essais de courte et moyenne portée.