Guerre en Ukraine : L’embargo sur le pétrole russe aura-t-il des « conséquences cataclysmiques » sur la vie des Français, comme le dit Marine Le Pen ?

FAKE OFF Depuis plusieurs jours, Marine Le Pen s’oppose à l’embargo sur le pétrole russe. Pour Olivier Gantois, président de l’Union française des industries pétrolières, la période ouvre de nombreuses incertitudes sur le prix des carburants, mais la mise en place progressive de l’embargo permettrait d’éviter une pénurie

Emilie Jehanno
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Les prix à la pompe avaient déjà franchi le seuil des 2 euros en mars 2022, comme ici à Rennes.
Les prix à la pompe avaient déjà franchi le seuil des 2 euros en mars 2022, comme ici à Rennes. — Mathieu Pattier/SIPA
  • Marine Le Pen part à l’attaque dans les médias contre l’embargo sur le pétrole russe. C’est une sanction « stupide », qui aura « des conséquences sur la vie des Français », a-t-elle déclaré le 8 juin sur Europe 1.
  • « Si on nous laisse six mois pour nous organiser, cela évitera qu’un embargo ait pour conséquence une pénurie de pétrole en France », estime Olivier Gantois, président de l’Union française des industries pétrolières, syndicat professionnel des entreprises fournisseurs d’énergies.
  • En 2019, 17 % du gazole et 13 % de pétrole brut venaient de Russie. L’Europe est plus dépendante : la moitié des importations de gazole arrivait de Russie en 2019, selon l’Ufip.

Alors que les prix à la pompe ont de nouveau passé le cap des 2 euros la semaine dernière pour l’essence et que le gazole frôle cette barre, Marine Le Pen part à l’attaque dans les médias contre l’embargo sur le pétrole russe. C’est une sanction « stupide », a-t-elle estimé sur Europe 1 le mercredi 8 juin, soutenant que la Russie vendra à d’autres pays et sera « plus riche après ».

La députée sortante du Rassemblement national s’en prend surtout à une décision qui « aura des conséquences sur la vie des Français », a-t-elle déclaré. Sur France Info, la veille, elle ajoutait que « le fait qu’il y a une rupture d’approvisionnement va faire augmenter le prix du pétrole ». Prenant l’exemple sur un prix vu sur sur l’autoroute à 2,40 euros le litre, elle pointe que « c’est inabordable pour une grande majorité des Français. Certains vont perdre leur emploi, ne plus utiliser leur voiture ». Le 1er juin, elle dénonçait les « conséquences cataclysmiques » de cette décision sur le pouvoir d’achat.

FAKE OFF

Précisons d’abord que ces prix élevés tiennent compte de la ristourne de 18 centimes le litre (en métropole continentale) mis en place par le gouvernement. Emmanuel Macron a récemment annoncé qu’elle serait prolongée en août, alors qu’elle devait initialement s’arrêter fin juillet. Le sans-plomb est également plus cher en ce moment en raison d’une demande très élevée des Etats-Unis, qui se prépare pour la saison estivale des grands déplacements en voiture. Mais avec la mise en place de l’embargo, l’envolée va-t-elle se poursuivre ?

Le 3 juin, l’UE s’est mis d’accord pour un embargo progressif sur la majeure partie du pétrole russe pour tarir le financement de la guerre contre l’Ukraine. L’arrêt des importations par bateau de pétrole brut aura lieu dans les six mois et celui des produits pétroliers dans les huit mois. L’approvisionnement par l’oléoduc Droujba peut en revanche continuer « temporairement », mais sans date limite. Il alimente notamment trois pays sans accès à la mer, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque.

La France importe du pétrole brut et du gazole de Russie

« D’après nos informations, une certaine latitude sera laissée aux États membres, explique Olivier Gantois, président de l’Union française des industries pétrolières énergies et mobilités (Ufip EM), syndicat professionnel des entreprises fournisseurs d’énergies. En France, on aura jusqu’à la fin de l’année 2022 pour remplacer les importations de pétrole russe par des importations qui viennent d’ailleurs. » La France importe du pétrole brut et du gazole de Russie, mais pas d’essence. En 2019, 17 % du gazole et 13 % de pétrole brut venaient de Russie. L’Europe est plus dépendante : la moitié des importations de gazole était importée de Russie en 2019, selon l’Ufip EM.

« Si on nous laisse six mois pour nous organiser, cela évitera qu’un embargo ait pour conséquence une pénurie de pétrole en France », estime Olivier Gantois, indiquant que le pétrole serait sans doute importé du Moyen-Orient, d’Amérique du Nord ou d’Inde. Concernant la hausse des prix, le président de l’Ufip EM reste prudent et ne donne pas d’estimations en raison des incertitudes sur les prochains mois. « Cela dépend aussi du jeu de vase communicant qui va pouvoir avoir lieu : le pétrole russe, au lieu d’aller en Europe irait en Chine ou en Inde, ce qui déplace des barils qui viendraient en Europe, poursuit-il. Est-ce que ça, ça va jouer à plein ? De la réponse à cette question dépendra l’augmentation supplémentaire qu’on pourrait avoir à mesure que l’embargo rentre dans les faits. »

« On a déjà un effet de la crainte d’un embargo » sur le prix du baril

Il ajoute cependant que, depuis mars, le marché du pétrole a déjà pris en compte les inquiétudes autour d’un embargo. « Aujourd’hui, dans le prix, qui est très élevé [environ 121 dollars le baril de pétrole brut], on a déjà un effet guerre en Ukraine et de la crainte d’un embargo. »

Une pression sur les prix est « probable », appuie, de son côté, l’Institut français du pétrole énergies nouvelles (IFP EN) dans une note publiée le 7 juin. L’Opep +, l’organisation des pays exportateurs de pétrole et leurs partenaires, a décidé début juin d’augmenter son offre, mais ce recours réduira les capacités de réserve. Cette situation est « susceptible de conduire à une pression et à une volatilité des prix », explique la note. L’explosion des prix de l’énergie (gaz, pétrole, électricité) pourrait durer jusqu’à la fin de l’année, voire se poursuivre en 2023, prévoit l’Institut.

Beaucoup « d’incertitudes »

En mars, dans ses projections macroéconomiques, la banque de France retenait l’hypothèse d’un prix du baril à 125 dollars sur l’année 2022 dans un scénario dégradé. L’institution doit réviser ses hypothèses et les dévoilera fin juin. Ce 9 juin, la Banque centrale européenne a publié ses projections trimestrielles : dans des scénarios pessimistes prenant en compte les incertitudes de la guerre en Ukraine et l’embargo sur le pétrole russe, le prix du baril oscillerait entre un peu plus de 100 dollars et jusqu’à plus de 140 dollars sur l’année 2022. Dans un scénario très pessimiste, le baril frôlerait les 180 dollars en 2023.

Plusieurs événements pourraient impacter le prix du baril dans les prochains mois : « La Chine pourrait retrouver une vigueur économique après la fin des confinements, ce qui ferait monter les prix, détaille le président de l’Ufip EM. Il pourrait y avoir un problème d’approvisionnement dans d’autres pays qui rendrait le pétrole rare ou, au contraire, la production ailleurs qu’en Russie pourrait augmenter plus que prévu, ce qui aurait pour effet de détendre les prix. » « Il y a énormément d’incertitudes », souligne Olivier Gantois.