Covid-19 en Corée du Nord : Pourquoi le premier cas n'est-il signalé que deux ans après le début de l'épidémie ?

PATIENT ZERO Malgré la quasi-autarcie de la dictature nord-coréenne, un premier cas de Covid-19 a été recensé à Pyongyang ce jeudi

Xavier Regnier
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Pour la première fois, le leader nord-coréen Kim Jong-un est apparu masqué à la télévision.
Pour la première fois, le leader nord-coréen Kim Jong-un est apparu masqué à la télévision. — Anthony WALLACE / AFP
  • La Corée du Nord a signalé ce jeudi son tout premier cas de Covid-19 depuis le début de la pandémie. Le dictateur Kim Jong-un a aussitôt décrété un confinement national.
  • En janvier 2020, le pays avait été le premier à fermer ses frontières à double tour, et ne les avait rouvertes que timidement depuis pour recommencer à commercer avec la Chine.
  • Comment le régime a-t-il fait pour empêcher le coronavirus d’entrer sur le territoire nord-coréen jusqu’ici ? Le système de santé a-t-il été renforcé ? Est-ce vraiment le premier cas ? 20 Minutes a interrogé deux experts.

Combien de temps peut tenir un territoire isolé et barricadé face à une pandémie mondiale ? A cette question digne d’un film catastrophe ou du Dernier train pour Busan, la Corée du Nord vient d’apporter sa réponse : presque deux ans et demi. Pyongyang a, en effet, signalé son premier cas d’infection au Covid-19 depuis le début de l’épidémie ce jeudi, via son agence officielle KCNA. 20 Minutes fait le point.

Comment l’épidémie a-t-elle été évitée jusque-là par la Corée du Nord ?

Pyongyang a réussi à éviter les premières vagues de Covid-19 tout en étant voisine du foyer de l’épidémie. Un exploit à mettre sur le compte d’une grande réactivité. « Officiellement, la Corée du Nord a fermé ses frontières le 1er janvier 2020, ça a été le premier pays à le faire », rappelle Antoine Bondaz, chercheur à la fondation pour la recherche stratégique. Elle a aussitôt expulsé tous les ressortissants étrangers - y compris les diplomates et les travailleurs humanitaires internationaux - et a interdit toute arrivée de l'étranger.

Outre la frontière avec la Corée du Sud, déjà bouclée par la zone démilitarisée, il lui a fallu rendre étanche les ports ainsi que la longue frontière au nord avec la Chine. Une gageure, malgré les restrictions qui pesaient déjà sur le commerce nord-coréen. « Il y a deux flots économiques qui viennent du Nord, un officiel et l’autre informel, avec des petits commerçants qui peuvent traverser la frontière », explique à 20 Minutes l’historienne Juliette Morillot, autrice de La Corée du Nord en 100 questions et La Corée du Sud en 100 questions (Ed. Tallandier).

Malgré cela, les autorités ont réussi à maintenir les frontières étanches « car il y a une obéissance immédiate » et ont « implémenté très vite le port du masque, des mesures barrières », ajoute l’historienne. En début d’année, les échanges commerciaux ont repris avec la Chine. Mais même là, tout se passait « dans une zone définie, avec désinfection des marchandises », précise Antoine Bondaz.

Reste que le coronavirus pourrait avoir été importé par une personne ayant traversé illégalement la frontière depuis la Chine, ont affirmé des experts.

Le système de santé nord-coréen était-il prêt ?

L’une des raisons de la fermeture rapide des frontières était que « les autorités savaient que le système de santé ne peut pas résister à une vague massive », indique encore Antoine Bondaz. Le développement des hôpitaux et la mise à jour de ce système de santé ne sont d’ailleurs « pas la priorité du régime », où le moindre won est consacré à la défense. Aussi la Corée du Nord n’est « pas plus préparée aujourd’hui qu’il y a deux ans » à affronter l’épidémie, craint notre expert.

De fait, le pays n’a pas fait vacciner sa population, refusant « l’aide de Covax, qui proposait deux millions de doses d’AstraZeneca, et trois millions de doses Sinovac » offertes par la Chine, note Juliette Morillot. « Il y a 25 millions d’habitants, si on ne parle pas de dizaines de millions de doses, c’est insuffisant », calcule Antoine Bondaz, quand l’historienne ajoute « la peur qu’accepter de l’aide étrangère soit vu comme une faiblesse » par la population. En effet, Pyongyang a déjà rejeté par le passé les offres d'assistance et de vaccination faites notamment par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et son principal allié, la Chine.

Néanmoins, les deux experts interrogés par 20 Minutes admettent qu’il est possible qu’une partie de l’élite soit vaccinée, avec des doses du vaccin chinois Sinovac voire des doses de vaccins occidentaux. Autre gros trou dans le maillage sanitaire nord-coréen, les tests. En deux ans, le régime n’aurait procédé « qu’à 65.000 tests environ », selon Juliette Morillot.

Peut-on croire qu’il s’agisse du premier cas en Corée du Nord ?

Le cas de Covid-19 annoncé par le régime « correspond » au variant Omicron. Ce qui n’est pas un détail pour l’historienne, qui rappelle que cette souche est « particulièrement contagieuse ». Le confinement décidé par Kim Jong-un​ doit donc éviter un raz-de-marée épidémique et « protéger les élites ». L’apparition du virus dans la capitale éveille justement les soupçons d’Antoine Bondaz. « On aurait pu comprendre si c’était à la frontière, via un trafic… » Pour les deux experts, il y a donc une chaîne de contaminations à retracer.

Ce n’est cependant pas tout à fait la première fois qu’il y a des craintes sur une présence du Covid-19 en Corée du Nord. « En juillet 2020, la ville de Kaesong a été entièrement confinée après qu’un défecteur soit passé du Sud au Nord », rappelle Juliette Morillot. De même, des alertes « jouxtées à des confinements pour cause de tempête de sable » ont semé le doute. L’historienne enfonce le clou avec « des importations massives de combinaisons » protectrices au mois d’avril, juste avant « l’arrêt complet de la circulation des marchandises et des trains avec la Chine après des cas à Dandong, ville frontalière ».