Guerre en Ukraine : Que sait-on des « camps de filtration » russes où seraient envoyés des civils ?

DRAME Les témoignages de civils ukrainiens rapportant avoir été détenus dans des « camps de filtration » russes se multiplient

D.R.
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Des militaires de la milice prorusse de la République populaire de Donetsk (RPD) inspectent un homme quittant la ville portuaire assiégée de Marioupol.
Des militaires de la milice prorusse de la République populaire de Donetsk (RPD) inspectent un homme quittant la ville portuaire assiégée de Marioupol. — Alexey Kudenko/SPUTNIK/SIPA
  • Les témoignages de civils ukrainiens quant à l’existence de « camps de filtration » russes se multiplient dans la presse internationale.
  • Kiev accuse Moscou de « trier » les civils dans des camps avant d’en déporter un grand nombre en Russie. Mercredi dernier, une responsable ukrainienne a accusé le Comité international de la Croix-Rouge d’être « complice » de ces « déportations ».
  • Entre témoignages qui se recoupent et accusations que Moscou nie en bloc, 20 Minutes fait le point sur ce que des Ukrainiens dénoncent comme « un vrai camp de concentration ».

« C’était comme un vrai camp de concentration », rapporte Oleksandr. Des Ukrainiens accusent le régime russe d’avoir mis en place des « camps de filtration » dans le pays envahi afin de retenir et interroger les civils. Après avoir été contrôlés, ces civils seraient ensuite soit autorisés à quitter la zone occupée, soit déportés en Russie. 20 Minutes fait le point sur ces allégations.

Interrogatoires, prise d’empreinte et fouilles

Oleksandr et Olena ont raconté à la BBC avoir été détenus dans un camp de filtration russe alors qu’ils tentaient de fuir Marioupol, presque intégralement tombée aux mains de l’armée russe. D’après eux, ce camp est situé au nord-ouest de la ville portuaire, dans le village de Nikolske. Ils relatent des conditions indignes avec « une seule toilette et un seul lavabo pour des milliers de personnes », des interrogatoires et des fouilles de leurs appareils numériques.

Un témoignage qui ressemble à celui de Dmitry, interrogé par France Info. Avec sa famille, il est parvenu à s’échapper de Marioupol, après un passage forcé dans le camp de filtration russe de Manhush où des fosses communes semblent avoir été creusées par l’armée russe. Le réfugié, aujourd’hui à Zaporijia, raconte des fouilles, des « interrogatoires très longs et agressifs », des « fouilles à nu » et des prises d’empreintes.

Même son de cloche dans le journal britannique The Guardian. Nos confrères ont recueilli le témoignage de deux femmes qui ont requis l’anonymat, terrifiées à l’idée de subir des représailles de Moscou. Elles aussi affirment avoir été parquées dans un camp de filtration russe, cette fois-ci à Bezimenne, ville côtière à l’est de Marioupol. Ce camp constitué de tentes bleues et blanches peut être aperçu sur des images satellites, diffusées par Maxar Technologies.


Déportations forcées

Photographies, prises d’empreintes, interrogatoires, fouilles de leurs téléphones, etc. Les deux civiles interrogées par The Guardian racontent des conditions de vie similaires aux autres témoins. Le groupe dont elles faisaient partie – constituée d’environ « 200 ou 300 personnes » – a ensuite été emmené à Vladimir en Russie (à l’est de Moscou).

Mercredi dernier, le président de la commission humanitaire du Parlement ukrainien, Mykyta Poturayev, a affirmé qu'« un demi-million de citoyens ukrainiens ont été déportés d’Ukraine vers la Fédération de Russie sans accord de leur part ». « Je n’ai jamais demandé à être emmenée. Les camps de filtration, le voyage, ça a été très traumatisant », témoigne auprès du Guardian une civile ukrainienne.

Dimanche, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés comptabilisait 605.815 réfugiés ukrainiens en territoire russe. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a affirmé sur BFMTV que ces citoyens avaient « disparus ». « Ils se trouvent dans des camps spéciaux sur le territoire russe », a avancé le dirigeant. Une accusation que Moscou nie en bloc et dont la véracité n’a pas été établie de façon indépendante.

Accusations à l’encontre du CICR

Mercredi dernier, une responsable ukrainienne a accusé le Comité international de la Croix-Rouge d’être « complice » de ces « déportations ». « Le CICR ne remplit pas son mandat » concernant les personnes qui seraient évacuées de force vers la Russie, a estimé Lioudmyla Denissova. Le CICR a, évidemment, nié ces accusations. Chargé des relations publiques pour l’ONG, Frédéric Joli rappelle que le CICR est « gardien du droit humanitaire » et répète qu’il n’a pas participé à la déportation de civils ukrainiens en Russie. La « déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés » peut constituer un crime de guerre d’après la charte de Nuremberg.

« Notre préoccupation principale est d’atteindre les victimes de ce conflit », rappelle Frédéric Joli qui regrette que ces accusations « posent problème au CICR » sur le terrain « pour la sécurité de [ses] équipes et pour [ses] opérations d’évacuation ».