Guerre en Ukraine : « Dans le Donbass, Moscou va affronter une armée ukrainienne qui est préparée depuis 2014 à ce combat »
INTERVIEW Le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU, explique à « 20 Minutes » pourquoi la bataille du Donbass est si symbolique
- La Russie a annoncé ce mardi avoir mené une dizaine de frappes aériennes et de missiles dans l’est de l’Ukraine, entamant, selon Kiev, « la bataille pour le Donbass » crainte depuis des semaines.
- Selon le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, il s’agit d’une « nouvelle phase » de la guerre. En parallèle, Moscou a appelé toute l’armée ukrainienne à « déposer les armes ».
- Le général Dominique Trinquand a occupé tout au long de sa carrière des postes au sein de régiments et d’Etats-majors lors de plusieurs opérations, au Liban, en ex-Yougoslavie et encore en Afrique. L’ex chef de la mission militaire française auprès de l’ONU explique à « 20 Minutes » pourquoi la bataille du Donbass est militairement symbolique.
L’étau russe se resserre. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a confirmé ce lundi ce qu’il présageait depuis des semaines, son homologue russe attaque l’est de l’Ukraine à la gorge. Déployant la quasi-totalité de ses hommes et de son artillerie, Vladimir Poutine compte bien gagner la région la plus proche de ses frontières et déclarer du même coup sa victoire. Après avoir tenté d’attaquer le Sud et le Nord, Kiev ou encore des villes stratégiques comme Marioupol, comment le Kremlin veut-il conquérir le Donbass ? L’armée ukrainienne est-elle en mesure de résister ? Réponses avec le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU.
A quoi va ressembler la « bataille du Donbass » ?
On rentre dans une bataille beaucoup plus classique. Les Russes ont annoncé il y a trois semaines qu’ils allaient concentrer leurs efforts sur le Donbass. Cela signifie, sur le plan militaire, abandonner les attaques qui avaient lieu à Kiev et dans le Nord. A présent, dans le Donbass, il va s’agir d’affronter l’armée ukrainienne qui est préparée depuis 2014 à cette confrontation. Pour cela, les Russes vont à la fois utiliser l’artillerie pour écraser les défenses de leurs ennemis ukrainiens mais aussi provoquer des percées pour morceler ces derniers. Enfin, les forces armées de Moscou vont essayer de contourner, via un mouvement partant du Nord vers le Sud, l’armée de Volodymyr Zelensky afin de la couper des renforts venant de l’Ouest.
Pourquoi craint-on autant cette bataille ?
Parce que tous les moyens Russes y sont concentrés. Cela signifie beaucoup d’artilleries lourdes et donc beaucoup de pertes. Mais cette « bataille du Donbass » est également une phase finale pour les Russes. A la suite de cette opération, soit le président Vladimir Poutine crie victoire soit c’est le président Volodymyr Zelensky qui le fait. Mais l’un des deux ressortira vainqueur.
Cette « bataille du Donbass » va-t-elle durer plusieurs jours, comme l’a affirmé Kiev ?
Elle peut même durer bien plus. Tout le monde a en tête le fait que Vladimir Poutine souhaite une victoire avant la date symbolique du 9 mai [fête patriotique russe], soit dans deux semaines et demie. Après est-ce qu’il y parviendra ? Je n’en sais rien. Et est-ce que cette date du 9 mai est vraiment réelle ? Je n’en sais rien non plus.
L’Ukraine est-elle en mesure de résister militairement au combat dans l’Est ?
L’Ukraine a un vrai avantage car elle est préparée, particulièrement dans cette zone, depuis 2014. Les Ukrainiens ont des plans de tirs, ils sont entraînés, ils sont protégés par des tranchées ou encore des abris bétonnés. En revanche, leurs lignes de communication sont assez longues puisque les renforcements viennent de l’Ouest, soit à l’opposé. Les Russes à l’inverse ont des lignes de communication plus courtes puisque en arrivant dans le Donbass, ils se sont rapprochés de leurs fontières.
A la suite de cette « bataille du Donbass » , soit le président Vladimir Poutine crie victoire soit c’est le président Volodymyr Zelensky qui le fait. »
Est-ce que cette offensive est différente de celle menée à Kiev ? Pourquoi ?
Oui, tout à fait différente. Dans un premier temps, à Kiev, le gouvernement russe pensait renverser rapidement le gouvernement ukrainien et ne pas faire usage de la force. Ensuite, les forces russes n’ont jamais réussi à s’approcher à moins de 20 km du centre de la capitale. La ville était donc menacée mais jamais attaquée directement. Dans le Donbass, il y aura des bombardements systématiques. D’ailleurs, les Ukrainiens ont demandé depuis plusieurs semaines aux civils de quitter cette région car ils seront eux aussi la cible de ces bombardements.
L’armée russe piétine-t-elle à Marioupol ?
Elle ne piétine pas, simplement la phase de prise du dernier bastion de Marioupol qui est l’usine sidérurgique Azovstal située sur le port est extrêmement difficile. Là aussi les forces ukrainiennes se sont préparées depuis quatre semaines. Il y aurait six étages de sous-sol dans ce bastion, ce qui rend la saisie aussi compliquée pour les Russes. De plus, il y a à Marioupol, des combattants très déterminés. Ils savent qu’en continuant à combattre ils empêchent les forces russes mobilisées sur place de se rendre ailleurs et donc, dans le Donbass. Ils savent aussi que tous les yeux sont braqués sur eux. Pour le moral des troupes ukrainiennes, c’est donc important qu’ils résistent.
Peut-on dire que Moscou a changé de stratégie militaire depuis le début de la guerre ?
Oui. La stratégie initiale était la prise de pouvoir sans usage de la force. Moscou a échoué. Le Kremlin a donc pris un autre virage au bout de quatre semaines, et l’objectif maintenant est de se concentrer sur le seul axe qui avait progressé jusqu’alors, soit l’axe Sud/Sud-Est. L’idée est d’obtenir une victoire et une seule : la prise du Donbass.
A l’exception du Donbass, la Russie aurait-elle renoncé au reste de l’Ukraine ?
Oui. La Russie a renoncé au reste de l’Ukraine pour l’instant. Elle sait qu’elle ne pourra ni conquérir ni occuper le reste du pays. Compte tenu des difficultés sur le territoire et de la mobilisation occidentale, à ce stade, cela me parait une affaire assez mal engagée. Cela étant, cela ne signifie pas que Moscou n’essaiera pas d’obtenir le reste de l’Ukraine plus tard.