Guerre en Ukraine : « Personne n’a négocié avec Hitler »… Pourquoi le Premier ministre polonais critique Emmanuel Macron
FAKE OFF Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a reproché au président français de continuer à discuter avec Vladimir Poutine. Des déclarations qui s’expliquent par le contexte politique en Pologne
- « Monsieur le président Macron, combien de fois avez-vous négocié avec Poutine, qu’avez-vous obtenu ? On ne débat pas, on ne négocie pas avec les criminels », a critiqué Mateusz Morawiecki, le Premier ministre polonais.
- Ces déclarations s’adressent « davantage à son électorat conservateur, voire europhobe, qu’à ses partenaires européens », estime Dorota Dakowska, professeure de science politique à Sciences Po Aix.
- La Pologne ne veut pas être marginalisée : elle craint « une entente entre les grandes puissances européennes et la Russie sur le dos des pays de l’Est », souligne Valentin Behr, chercheur en sciences politiques à l’Institut d’études avancées de Paris.
Le torchon brûle-t-il entre la Pologne et la France ? Après une semaine de piques entre Mateusz Morawiecki, le Premier ministre polonais, et Emmanuel Macron, Varsovie a convoqué vendredi l’ambassadeur de France à la suite des propos du président français. Ce dernier a accusé le chef du gouvernement polonais du parti conservateur Droit et justice (Pis) « d’antisémitisme d’extrême droite, qui interdit les LGBT ». Il avait aussi estimé qu’il « s’immisçait dans la campagne politique française », pointant sa proximité avec Marine Le Pen, sa rivale d’extrême droite à la présidentielle.
En début de semaine, Mateusz Morawiecki avait pris à partie Emmanuel Macron, lui reprochant de continuer à discuter avec Vladimir Poutine malgré la guerre en Ukraine. « Monsieur le président Macron, combien de fois avez-vous négocié avec Poutine, qu’avez-vous obtenu ? On ne débat pas, on ne négocie pas avec les criminels, les criminels doivent être combattus », a-t-il dit.
« Personne n’a négocié avec Hitler. Est-ce que vous négocieriez avec Hitler, avec Staline, avec Pol Pot ? », a-t-il également lancé, oubliant peut-être les accords de Munich en 1938. Il a aussi critiqué l’Allemagne et sa dépendance aux matières premières russes, « principal obstacle à des sanctions très fortes ».
Mateusz Morawiecki s’adresse « davantage à son électorat conservateur »
Pourquoi une telle sortie visant le président français ? Selon Dorota Dakowska, professeure de science politique à Sciences Po Aix et spécialiste de l’Europe centrale et orientale, le Premier ministre polonais s’adresse « davantage à son électorat conservateur, voire europhobe, qu’à ses partenaires européens ». Ces déclarations s’inscrivent dans « la politique historique menée par le parti Droit et justice : une politique publique de l’Histoire où, à travers l’éducation, la recherche, les musées, les commémorations, on cherche à valoriser une image des Polonais comme une Nation héroïque luttant pour son indépendance, contre les nazis, puis contre les Soviétiques », retrace Valentin Behr, chercheur en sciences politiques à l’Institut d’études avancées de Paris.
Le Pis a une position traditionnelle de méfiance vis-à-vis de la Russie. Par exemple, il a « beaucoup surfé sur la catastrophe aérienne de Smolensk », ajoute Dorota Dakowska. En avril 2010, l’avion du président Lech Kaczynski, frère du chef actuel du Pis, s’est crashé à Smolensk, en Russie, alors que des membres du gouvernement et de l’armée allaient assister aux commémorations du 70e anniversaire du massacre de Katyn. Plusieurs milliers de civils et militaires polonais y ont été tués en 1940 par la police politique soviétique. En toile de fond mémoriel, « il y a cette idée d’une sorte de Katyn bis, avec une rhétorique conspirationniste agitée par le Pis : les Russes auraient fomenté un complot pour assassiner le président polonais, détaille Valentin Behr. Et Jaroslaw Kaczynski, le frère du président défunt, l’a encore redit cette semaine. »
Allumer « un contre-feu »
Critiqué pour s’être rapproché de partis d’extrême droite en Europe, plus proches du Kremlin, et parfois financés par la Russie, comme le Rassemblement national, le Premier ministre polonais a voulu allumer « un contre-feu », estime Valentin Behr. « Il s’agit de répondre en disant "les véritables alliés de Poutine en Europe, ce sont les Allemands, qui ont fait le gazoduc Nord Stream 2, ou c’est le gouvernement français, qui cherche à négocier un compromis avec un Poutine qui est finalement un dictateur, à l’image de Hitler ou de Staline". »
« En ce moment en Pologne, chaque parti accuse l’autre de jouer le jeu de Poutine », confirme Dorota Dakowska. Pour l’opposition centriste, le gouvernement et le parti Droit et justice partagent la ligne du président russe dans leurs positions ultraconservatrices, homophobes, contraire au droit à l’avortement. Pour le gouvernement, l’opposition joue le jeu du même Poutine car elle a appelé à accueillir des réfugiés dans le contexte de tensions avec la Biélorussie fin 2021.
Le problème Viktor Orban
Sur la scène polonaise, Mateusz Morawiecki veut aussi « masquer sa proximité avec Viktor Orban et montrer d’autres coupables. Il cherche à détourner le regard de son alliance avec la Hongrie, son principal allié dans l’Union européenne », souligne Dorota Dakowska. Car la position hongroise a créé des dissensions dans l’alliance des partis souverainistes et eurosceptiques. Orban, resté proche de Poutine, s’est distingué en refusant de livrer des armes à l’Ukraine. Il n’a pas condamné non plus le massacre de Boutcha et s’est dit prêt à payer le gaz russe en roubles, ce qu’ont refusé les autres pays de l’UE.
Par ailleurs, le poids de l’Histoire entre bien évidemment en compte, notamment la Seconde Guerre mondiale et la domination soviétique en Europe de l’Est. « Il y a cette idée en Pologne que la Russie, notamment sous Poutine, est une menace pour la sécurité », explique Valentin Behr. La Pologne ne veut pas être marginalisée : « Il y a surtout la crainte d’une entente entre les grandes puissances européennes – la France, l’Allemagne – et la Russie, sur le dos des pays de l’Est. Un peu comme cela a été le cas – c’est perçu de la sorte dans ces pays – à Yalta au sortir de la Seconde Guerre mondiale. L’idée qu’en discutant avec la Russie, en cherchant un compromis, on sacrifie les petits Etats périphériques d’Europe de l’Est, en considérant qu’ils font partie d’une zone d’influence russe. »
La crainte d’une extension du conflit ukrainien est également très présente, même si la Pologne fait partie de l’Otan, tout comme la Hongrie. « La Russie a aussi menacé plusieurs fois la Pologne dans les discours de ses experts à la télévision d’Etat, rappelle Dorota Dakowska. Ils ont suggéré qu’il fallait pulvériser totalement l’Ukraine et, ensuite, pourquoi pas la Pologne. Il y a une certaine nervosité vis-à-vis de tout cela, mais aussi la conviction qu’il ne faut pas faiblir face à Poutine, qui ne comprend que la force. »