Guerre en Ukraine : « Il y a un déséquilibre évident entre Kiev et Moscou sur le plan militaire »

ARMEE Le déséquilibre des forces armées entre Ukraine et Russie est évident, même si Kiev a quelques atouts dans sa manche et pourrait bien surprendre les troupes de Vladimir Poutine

Laure Gamaury
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Les forces militaires ukrainiennes mobilisées près de Donetsk, à la frontière avec la Russie, le 23 février 2022.
Les forces militaires ukrainiennes mobilisées près de Donetsk, à la frontière avec la Russie, le 23 février 2022. — EyePress News/Shutterstock/SIPA
  • Vladimir Poutine a annoncé cette nuit le lancement d’une « opération militaire spéciale » en Ukraine.
  • Quelles sont les forces ukrainiennes en place ?
  • « La comparaison est évidemment clairement déséquilibrée entre Kiev et Moscou sur le plan militaire », analyse Johanna Möhring, chercheuse au Center for Advanced Security, Strategic and Integration Studies (CASSIS) de l’Université de Bonn.

Guerre larvée ou guerre éclair ? « Des véhicules militaires russes, y compris des blindés, ont violé la frontière dans les régions de Tcherniguiv (nord, frontière biélorusse), Soumy (nord-est, frontière russe), Lougansk et Kharkiv (est, frontière russe) », ont annoncé les gardes-frontières ukrainiens dans un communiqué ce jeudi matin. « Les forces ukrainiennes mènent des combats acharnés. L’ennemi a subi des pertes importantes et qui seront encore plus importantes », a déclaré le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a annoncé avoir rompu les liens diplomatiques avec la Russie.

Il était à peine 3 heures du matin en France quand Vladimir Poutine annonce à la télévision russe « une opération militaire spéciale ». Dans la foulée, les premières bombes tombent sur l’Ukraine avant que les troupes militaires de la Russie ne franchissent la frontière et envahissent les zones limitrophes.

« A court et moyen terme, des sanctions ne seraient pas efficaces pour impressionner le régime de Vladimir Poutine », analyse Johanna Möhring, chercheuse au Center for Advanced Security, Strategic and Integration Studies (CASSIS) de l’Université de Bonn. Mais quelles sont les armes de David contre Goliath ?

Sur le front de l’armée ukrainienne, quels sont les moyens militaires ?

La comparaison est évidemment clairement déséquilibrée entre Kiev et Moscou sur le plan militaire. Le principal problème de l’Ukraine, c’est l’absence d’une défense aérienne, qui va ouvrir la voie à des frappes russes partout, lesquelles pourront annihiler le renfort d’unités de combat ukrainiennes au sol. L’autre grand souci ukrainien, c’est l’extrême longueur du front à tenir.


La guerre n’a-t-elle finalement pas démarré il y a huit ans ? Y a-t-il encore des réserves d’hommes ?

Absolument. Mais elle était statique et peu coûteuse en vies depuis 2015. Avec l’adoption au parlement ukrainien mercredi soir à une large majorité, de l’introduction de l’état d’urgence national, les réservistes entre 18 et 60 ans peuvent désormais être mobilisés.

Peut-on parler d’attaque surprise ?

Depuis la concentration massive de troupes aux frontières de l’Ukraine, au nord en Russie et en Biélorussie, à l’est et au sud, qui date en partie de 2021, cette attaque était une possibilité. Il ne faut pas non plus oublier la Crimée, qui est aux mains de la Russie depuis 2014. Elle constitue une base navale et terrestre supplémentaire au sud. Enfin, en Transdniestrie au sud-ouest de l'Ukraine, les troupes russes stationnées depuis 1992, élément clé d'un conflit gelé avec la Moldavie, ont également été renforcées récemment.

Depuis quelques jours, deux tiers des troupes étaient à moins de 50 km des frontières de l’Ukraine, dont une moitié « déployées tactiquement ». Cet état de préparation avancé ne pouvait être tenu indéfiniment : il annonçait clairement une attaque. Un autre indice allait dans le même sens : des hôpitaux militaires de campagne, des banques de sang, et des équipes de réparation d’équipement avaient également été déployés.

Combien de temps l’opération russe peut-elle durer ? A-t-elle été suffisamment anticipée ?

Cela dépend de l’intensité des combats, mais je dirais qu’elle peut durer longtemps. Tout dépend vraiment du type d’intervention prévue. La Russie veut-elle créer un état d’insécurité permanent ? Pousser la ligne de séparation vers l’Ouest ? Déposer le gouvernement et repartir ?

Je pense aussi que l’étendue des pertes russes peut jouer. Si l’armée ukrainienne pouvait infliger des pertes considérables, cela mettrait en question l’opération de Vladimir Poutine. S’il s’agit de garder la tension sur les autorités politiques ukrainiennes sans grandes pertes humaines côté russe alors Moscou pourrait tenir longtemps. Et puis, il y a toujours la possibilité d’un scénario avec la prise éclair de Kiev pour y installer un gouvernement pro-russe.

Concernant l’anticipation, il n’y a aucun doute : les Russes avaient prémédité l’attaque et tout préparé en conséquence.

L’armée ukrainienne pourrait-elle capituler ?

Oui, c’est une possibilité. Si par exemple, les succès militaires russes sont trop rapides et évidents, ou si la population civile est massivement prise pour cible. Mais il est aussi possible que les attaques russes transforment ce conflit en lutte pour la survie nationale de l’Ukraine. Dans ce cas-là, elle pourrait tenter d’infliger un rythme régulier de pertes aux Russes par une défense en profondeur, une stratégie d’usure.

Quid de l’arme nucléaire ? Pourrait-elle être utilisée ?

L'arme nucléaire a vocation à ne pas servir, elle est intégrée dans le dispositif militaire avant tout pour dissuader l'adversaire. Du côté des Russes, ils la brandissent au niveau régional et au niveau mondial, puisqu'ils disposent d'armes nucléaires à portée intermédiaire et à portée transcontinentale. C'est un moyen pour eux de tenter de dissuader les autres pays de s'engager aux côtés de l'Ukraine.

Mais les propos de Vladimir Poutine ce matin adressé à ceux « qui tenteraient d’interférer avec nous (…) doivent savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et conduira à des conséquences que vous n’avez encore jamais connues », questionnent les experts. Ces dernières années, certains d'entre eux pensaient que la Russie avait bel et bien baissé le seuil d'une utilisation de l'arme nucléaire tandis que d'autres détectaient plutôt un renforcement d'autres moyens non nucléaires depuis que les forces armées russes étaient en meilleure forme. Mais les récents propos tenus par le président russe sont ambigüs, et ce signalement aggresif a des effets bien réels.