La Tunisie en pleine crise politique avant des échéances majeures en 2022

DEMOCRATIE Le président Kais Saied gouverne toujours le pays d’une main de fer tout en promettant une consultation populaire pour mettre en place une nouvelle Constitution

20 Minutes avec AFP
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Les Tunisiens protestent toujours contre le président Kais Saied, qui a les pleins pouvoirs depuis cet été.
Les Tunisiens protestent toujours contre le président Kais Saied, qui a les pleins pouvoirs depuis cet été. — Riadh Dridi/AP/SIPA

Recul démocratique, polarisation, enlisement social et économique : la Tunisie s’embourbe dans la crise depuis le coup de force du  président Kais Saied, qui lance samedi une « consultation populaire » en vue de faire adopter des réformes controversées pour remettre le pays sur les rails. Dans un contexte de blocage politique, Kais Saied s’est arrogé les pleins pouvoirs le 25 juillet dans le pays qui fut le berceau du Printemps arabe en 2011. Le président a notamment limogé le Premier ministre et suspendu le Parlement dominé par le parti d’inspiration islamiste  Ennahdha, sa bête noire dont le président adjoint Noureddine Bhiri a été arrêté ce vendredi.

Depuis cet été, Kais Saied gouverne par décrets malgré la protestation de ses opposants et des organisations nationales dont la puissante centrale syndicale UGTT (Union générale tunisienne du travail). Le 13 décembre, il a dévoilé une feuille de route destinée à sortir de la crise avec un scrutin législatif prévu en décembre 2022, après révision de la loi électorale, et un référendum en juillet pour amender la Constitution, qu’il veut plus « présidentielle », aux dépens du Parlement.

Incertitudes et zones d’ombre sur le référendum

Auparavant, du 1er janvier au 20 mars, une « consultation populaire » électronique sera organisée dans tout le pays pour faire émerger des idées qui doivent servir de base aux amendements constitutionnels. Un procédé singulier qui illustre, selon ses détracteurs, les méthodes « populistes » du président, élu en 2019 avec près de 73 % des suffrages et qui continue de jouir d’une popularité solide.

« Le pays nage en pleine incertitude politique même après l’annonce par Kais Saied de sa feuille de route qui ne semble pas rassurer les partenaires, ni à l’intérieur ni à l’extérieur », indique le politologue Hamza Meddeb. « Il y a beaucoup d’interrogations sur la fiabilité de ce processus. On n’a jamais essayé en Tunisie ce genre de référendums et on ne sait pas comment le président compte organiser ces consultations. Il y a beaucoup de points d’ombre », estime-t-il. Ces consultations débuteront « en plein malaise socio-économique avec des questionnements concernant les libertés », ajoute le politologue, déplorant « une répression à visage couvert ».

Répression politique féroce

Et la situation financière n’est guère réjouissante. Dans le budget présenté mardi, la Tunisie prévoit de creuser sa dette de six milliards d’euros supplémentaires pour relancer une économie lourdement affectée par la crise politique et la pandémie de Covid-19. « Depuis le 25 juillet, il y a une seule institution et une seule personne qui décide de l’avenir de ce pays (…) et jusque-là, rien ne laisse croire qu’il va y avoir de l’espoir », dénonce la célèbre militante politique et des droits humains,  Bochra Belhaj Hmida. Elle vient d’être condamnée à six mois de prison pour une plainte d’un ancien ministre remontant à 2012, un verdict dont le timing interpelle car il est tombé quelques jours après qu’elle a publiquement critiqué le président Saied.

D’autres politiques et militants ont été poursuivis après des prises de position contre Kais Saied sur les réseaux sociaux. L’ancien président Moncef Marzouki, vivant en France, a été condamné par contumace le 22 décembre à quatre ans de prison pour avoir « porté atteinte à la sûreté de l’Etat à l’étranger », après avoir critiqué publiquement le pouvoir tunisien. Human Rights Watch a dénoncé la multiplication depuis le 25 juillet de poursuites judiciaires à l’encontre de divers opposants, qui s’appuient, selon HRW, sur des lois « répressives ». Le Syndicat national des journalistes en Tunisie a de son côté mis en garde contre « un danger imminent menaçant la liberté de la presse, des médias et d’expression ».