Royaume-Uni : Pourquoi la reine d’Angleterre ne quitte pas le trône malgré ses soucis de santé
MONARCHIE Alors que sa santé n'est pas au plus fort, la reine Elisabeth II n'envisage pas de laisser sa place au prince Charles, qui se prépare pourtant à devenir roi depuis des décennies
- Ces dernières semaines, Elisabeth II a été contrainte d’annuler sa présence à plusieurs événements officiels pour des raisons de santé.
- Si, pour certains, l’heure est au changement de monarque, la reine ne semble pas vouloir, ni simplement pouvoir se retirer de ses fonctions tant qu’elle possède toute sa tête.
- Dernier symbole de l’unité britannique, son remplacement ne paraît pas des plus opportuns aujourd’hui, alors que le Royaume-Uni connaît une période instable économiquement et politiquement.
La reine d’Angleterre va-t-elle rester sur le trône britannique jusqu’à son dernier souffle ? Dimanche, Elisabeth II a été contrainte d’annuler sa participation à une cérémonie officielle à Londres en raison de son état de santé. Ce n’est pas le premier événement que la monarque de 95 ans annule ces dernières semaines après sa brève hospitalisation le mois dernier.
Au Royaume-Uni, des voix commencent à s’élever pour qu’elle cède le trône à son fils aîné, le prince Charles. « Son travail consiste à se rendre à ce genre d’événements, et là elle ne peut pas y aller. Soyons honnêtes, elle ne peut pas faire son travail », a lancé ce lundi le journaliste Kevin Maguire dans l’émission Good Morning Britain, sur la chaîne ITV. Mais dans les faits et les codes de la monarchie britannique, les choses ne sont pas aussi simples.
- Pourquoi la reine, malgré son état de santé, ne laisse-t-elle pas sa place ?
Tout d’abord parce qu’elle ne semble tout simplement pas le vouloir. Visiblement le « mal de dos » dont souffre la souveraine, selon le palais de Buckingham, n’est pas une raison suffisante pour laisser sa place. Pour tenir son rôle, ce n’est pas tant le physique que le mental qui compterait. « Elle reste sensée, a la pleine capacité de ses moyens et se sent encore capable de régner », assure l’historien David Feutry à 20 Minutes.
Un argument également mis en avant par le chroniqueur Andrew Pierce, toujours dans Good Morning Britain. Pour lui, la reine reste « mentalement forte » et capable de tenir des conversations avec les dirigeants mondiaux sur les grandes questions politiques.
- Que dit la tradition monarchique de Grande-Bretagne ?
« Etre roi ou reine, c’est bien plus qu’un métier, c’est une obligation morale, un sacerdoce », assure David Feutry. Tous les membres de la famille royale sont préparés à régner dès leur plus jeune âge. Autant dire qu’on ne se débarrasse pas de son rôle comme ça.
« Les usages sont fixés depuis La Déclaration des droits de 1689 et, en 1701, les règles de succession ont définitivement été mises en place désignant comme héritier du trône le premier fils du roi, indique David Feutry. La règle a été amendée en 2013. C’est désormais le premier enfant du roi et de la reine, qui devient héritier quel que soit son sexe. » Si les règles de succession sont bien établies, celles d’une possible retraite pour une reine nonagénaire n’existent pas. Pour laisser sa place, il faut abdiquer.
- Pourquoi l’abdication ne semble-t-elle pas une option ?
Symboliquement, abdiquer ne signifie pas que l’on laisse sa place, mais plutôt que l’on renonce au trône. Cet acte fort est arrivé une fois dans l’histoire de la couronne britannique. En 1936, Edouard VIII renonce à la couronne après moins d’un an de règne afin de pouvoir épouser une femme divorcée. L’affaire avait provoqué une crise constitutionnelle. « C’était un moment traumatisant et pas du tout dans l’ordre des choses », assure David Feutry.
Par ailleurs, pour que la reine puisse abdiquer, il faut qu’une loi passe au Parlement et qu’elle reçoive « l’approbation des 15 pays dont elle est également souveraine », assure à 20 Minutes Peter McNally, professeur canadien émérite (retraité) de l’École des sciences de l’information et expert de la famille royale. Parmi eux, le Canada, la Jamaïque, l’Australie ou encore Belize. « Je pense que ni la reine ni le prince de Galles, ne veulent traverser ce bourbier constitutionnel. »
- Le gouvernement britannique a-t-il son mot à dire ?
« C’est à la reine que revient cette décision, ce n’est pas le rôle du Parlement », insiste l’historien. Il est cependant prévu qu’en cas de crise, le Parlement puisse effectivement décider de transmettre la couronne à l’héritier légitime. « On peut imaginer que c’est ce qui pourrait se produire si la reine perdait complètement la tête », admet David Feutry, même si ce cas de figure ne s’est encore jamais présenté par le passé.
- L’abdication est-elle la seule solution qui s’offre à la reine ?
Dans une tribune de The Independant le 23 octobre dernier, Sean O’Grady, rédacteur en chef adjoint du journal, assure que la reine pourrait « prendre sa retraite sans abdiquer ». Il lui suffirait en effet de « déclarer le prince de Galles prince régent ». Elle pourrait alors conserver son titre, son statut et sa position tout en laissant son aîné gérer les aspects constitutionnels. « La reine n’a pas besoin de disparaître de la vue du public, et Charles ne serait pas roi », assure-t-il.
« La dernière fois que cela s’est produit dans l’histoire britannique, c’était en 1811 avec le roi George III. Lorsque sa santé s’est effondrée, son fils aîné est devenu prince, raconte régent, Peter McNally. Poste qu’il a occupé jusqu’en 1820, date à laquelle il est devenu le roi George IV à la mort de son père. »
- Mais la reine a-t-elle intérêt à laisser sa place à Charles ?
Dans la suite de sa tribune, Sean O’Grady le concède : « Que le prince Charles soit à la hauteur de la tâche est une autre affaire. » Une affaire qu’il juge d’ailleurs « délicate ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que le prince Charles n’a pas vraiment la même aura que sa mère, dont il a longtemps vécu dans l’ombre. « Ses tribulations conjugales entre les années 1990 et 2000 n’ont pas aidé », affirme David Feutry.
Par ailleurs, « prendre le pouvoir à plus de 70 ans, ce n’est pas la même chose que de l’avoir exercé pendant autant d’années », ajoute l’historien. Rappelons que la reine Elisabeth II est arrivée sur le trône à l’âge de 25 ans, après la mort brutale de son père George VI. « Le prince Charles incarne le 20e siècle, alors que les Anglais attendent du renouveau avec William qui est leur chouchou et qui est plus en prise avec le réel », assure-t-il.
D’autre part, le gouvernement britannique actuellement dominé par des hommes a beaucoup de respect pour la reine. « Avec un roi, les relations pourraient être légèrement différentes, suppute David Feutry. Il pourrait y avoir un rapport de force. »
- Outre l’héritier, est-ce le bon moment pour changer de monarque ?
A l’heure de la crise du Covid-19, du Brexit, des demandes régulières d’un référendum pour l’indépendance en Ecosse ou encore des récents problèmes d’approvisionnement, le départ d’Elisabeth II pourrait alimenter l’instabilité qui règne sur le royaume. « Tout change en Grande-Bretagne, sauf la reine. C’est un point fixe, un ancrage dans l’identité britannique », décrypte David Feutry, qui rappelle que, contrairement à la politique, la monarchie a vocation à « durer dans le temps et apporter de la stabilité ». La reine attend donc aussi peut-être un moment plus opportun pour envisager d’éventuels changements.