Ecosse : « Un bras de fer va commencer sur la mise en place d’un référendum pour l’indépendance »
INTERVIEW Pour Florence Faucher, spécialiste du Royaume-Uni, ce n’est pas parce que les indépendantistes écossais ont remporté les élections qu’un référendum aura lieu
- A la suite de leur victoire aux élections parlementaires, les indépendantistes écossais entendent bien organiser un nouveau référendum sur l’indépendance de la nation.
- La victoire du « oui » aurait de graves conséquences électorales pour Boris Johnson qui s’oppose donc fermement à ce vote.
- Bien que cette victoire ne soit pas du tout assurée notamment en raison de l’incertitude de l’entrée de l’Ecosse dans l’Union européenne, les indépendantistes pourraient contourner l’interdiction du Royaume-Uni en organisant un vote consultatif.
Les prochains mois promettent des débats à kilt tendus. La victoire des indépendantistes écossais aux élections parlementaires jeudi dernier remet sur la table la question d’un nouveau référendum pour l’indépendance de la nation, sept ans après l’échec du dernier. Un projet défendu par la leader du SNP (Parti national écossais), Nicola Sturgeon et Première ministre écossaise, mais totalement rejeté par Boris Johnson. Florence Faucher, professeure à Sciences Po et spécialiste du Royaume-Uni, décrypte pour 20 Minutes, les enjeux et aspects de ce nouveau potentiel référendum.
Que va-t-il se passer maintenant que le SNP a remporté les élections ?
Le SNP affirmait avant les élections que s’ils avaient une majorité absolue au Parlement écossais, il serait difficile pour le Premier ministre de refuser la tenue d’un référendum. Cependant, seul le gouvernement du Royaume-Uni peut autoriser la tenue d’un tel événement. Le précédent avait été perdu de justesse en 2014, et l’un des arguments de l’Union était l’appartenance à l’Union Européenne. La situation a changé, car l’Ecosse a voté contre le Brexit. Un deuxième vote est dangereux pour le Premier ministre britannique et Boris Johnson a déclaré que ce n’était possible qu’une fois par génération et qu’il refusera son organisation. On peut attendre un bras de fer entre Boris Johnson et Nicola Sturgeon, la Première ministre écossaise.
On n’organise pas un référendum d’indépendance tous les quatre matins, sinon on vit dans une instabilité constante et on dévalorise les institutions. Pour les indépendantistes écossais du SNP, la victoire au Parlement écossais était importante mais ils n’ont pas obtenu la majorité absolue. Ils ont cependant consolidé leur domination. Il leur faudra démontrer qu’il y a un tel mouvement d’opinion que celui-ci est écrasant et là ça ne l’est pas encore.
De son côté, Boris Johnson fera tout pour éviter un tel référendum car il a peu intérêt à être celui qui a mené au démantèlement du Royaume-Uni. Il est quand même le Premier ministre d’un parti qui s’appelle le « Conservative and Unionist Party ». L’union avec l’Ecosse est ancienne et solide. Son parti et son électorat ne le lui pardonneraient pas. Le succès de la vaccination et les résultats aux élections locales en Angleterre lui permettent pour l’instant d’attendre sereinement les prochaines élections générales dans trois ans et demi.
Les indépendantistes écossais peuvent-ils imposer un référendum ?
Il pourrait y avoir une votation sous une forme ou une autre, même si elle n’est pas reconnue par le Royaume-Uni. Une des possibilités pour l’Ecosse serait d’organiser un scrutin consultatif qui ne soit pas vraiment constitutionnel. L’Ecosse n’a pas le droit d’organiser de scrutin comparable à celui qui a eu lieu en 2014 sans l’accord du Premier Ministre. Mais une consultation simple pourrait être organisée plus rapidement que le référendum d’il y a 7 ans puisqu’affranchi des contrôles juridiques nationaux.
Si c’est un vote organisé sans l'accord du Royaume-Uni, le Premier ministre peut difficilement lui donner caution en faisant campagne. Cela ne veut pas dire que les conservateurs ne se mobiliseront pas, et les conservateurs écossais seront certainement très actifs, mais leur argument sera aussi d’insister au moins autant sur l’illégalité de son organisation, que sur le fond.
La vraie question c’est quel est l’intérêt pour le SNP d’organiser rapidement un tel scrutin ? Car ce vote pourrait contribuer à montrer que l’Ecosse souhaite son indépendance, mais les précautions seront prises pour être sûr de le gagner. Les fluctuations de l’opinion publique écossaises seront scrutées de près.
Malgré la victoire du SNP, pourquoi le résultat d’un référendum n’est-il pas certain ?
Bien que le Brexit auquel étaient opposés les Ecossais, puisse jouer en faveur du « oui », il va falloir à la fois négocier la sortie du Royaume Uni, puis l’entrée dans l’Union européenne. L’état de leurs finances dépendra de quelle fraction de la dette commune britannique ils seront contraints d’assumer, car ils ne vont pas partir les mains dans les poches. Les électeurs écossais peuvent regretter la sortie de l’UE, mais sortir du Royaume-Uni a un impact symbolique et économique. Ce sont les mêmes conséquences que si la France perdait la Bretagne. Avec ses 5-6 millions d’habitants, l’Ecosse est la deuxième des quatre nations qui composent le Royaume-Uni et la monarchie est très attachée à l’Écosse et l’Ecosse à la Reine.
Il faudra aussi négocier une frontière avec le Royaume-Uni avec des droits de douane alors qu’il existe des partenariats depuis près de trois siècles. Si des militants veulent l’indépendance de l’Ecosse depuis des décennies, il y a aussi beaucoup de personnes plus hésitantes. Ce sont ces hésitations-là qui ont fait que l’Ecosse a voté contre l’indépendance en 2014. Pour faire pencher la balance, l’Union européenne devra donner des signes que la réintégration de l’Ecosse à l’UE sera facile. Sinon il est possible que face à la complexité de la sortie, ce soit le statu quo qui l’emporte.
Enfin, même si le Royaume-Uni acceptait d’organiser ce référendum, de nombreuses règles et conditions seraient mises en place. L’erreur colossale qui a été faite pour le Brexit a été de ne pas poser de minimum de participation ou d’exigence majorité qualifiée (supérieure à 50%). Il est improbable qu’une telle situation se reproduise. Une majorité qualifiée, à 65 % par exemple et un minimum de participation pourront être demandés.