Coronavirus : Pourquoi l’épidémie est-elle devenue hors de contrôle en Inde ?
EPIDEMIE Entre l’émergence du variant « indien » et la vétusté du système de santé, l’Inde est confrontée à une poussée spectaculaire des cas de Covid-19
- L’Inde a enregistré près de 350.000 nouveaux cas en 24 heures, dimanche, du jamais vu au niveau mondial depuis le début de l’épidémie de coronavirus.
- En raison du manque de matériel, de place, des rassemblements religieux ou encore du variant « indien », le pays d’1,3 milliard d’habitants ne parvient pas à juguler la flambée épidémique.
- Dimanche, plusieurs pays, comme ceux de l’Union européenne, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, ont promis d’apporter leur aide à l’Inde.
Un triste record. Dimanche, l’Inde a franchi la barre des 350.000 cas de contamination en seulement 24 heures, un chiffre jamais atteint dans le monde depuis le début de l’épidémie de coronavirus.
Contaminations, décès, manque de matériel, variant indien… 20 Minutes fait le point sur la situation épidémique en Inde, devenue hors de contrôle.
Quels sont les chiffres de l’épidémie en Inde ?
Le géant d’1,3 milliard d’habitants ne parvient pas à juguler la flambée épidémique. En 24 heures, l’Inde a enregistré 350.000 nouveaux cas de contamination, du jamais vu au niveau mondial, et 2.767 décès, un record national. Depuis le début de l’épidémie, 17,3 millions de personnes ont été contaminées en Inde et plus de 195.000 en sont mortes, plaçant le pays au quatrième rang mondial pour le nombre de décès, selon les chiffres de l’université Johns-Hopkins, arrêtés ce lundi. Des chiffres très probablement sous-estimés, selon plusieurs spécialistes.
« Finalement, l’Inde n’a pas eu de deuxième vague cet automne. En décembre-janvier, les gens ont fait moins attention, la vie avait presque repris normalement. L’Inde en a payé le prix fort, soit à cause de pratiques irresponsables, comme les rassemblements, le non-respect des gestes barrières, soit à cause de pratiques impossibles à tenir, en raison de la densité de la population dans les grandes villes ou des transports surchargés. On se trouve aujourd’hui dans la situation catastrophique que tout le monde prévoyait initialement en 2020 et qui arrive finalement en 2021 », explique Frédéric Landy, spécialiste de l’Inde, professeur à l’université Paris-Nanterre et chercheur associé à l’institut Français de Pondichéry (Inde), à 20 Minutes.
Quelles sont les raisons de cette flambée épidémique ?
Selon des experts, ces dernières semaines, des milliers de personnes ont participé à des rassemblements politiques dans les États où ont lieu des élections régionales ou à des festivals religieux, la plupart du temps sans masque, favorisant la recrudescence des contaminations. « Le pays entier a été complaisant. Nous avons autorisé les rassemblements sociaux, religieux et politiques », a déclaré Rajib Dasgupta, professeur de santé à l’Université Jawaharlal Nehru à l’AFP, « plus personne ne faisait la queue (pour respecter la distanciation physique) ».
A lui seul, le festival religieux hindou Kumbh Mela, qui se déroule depuis janvier dans le nord de l’Inde, a attiré 25 millions de personnes, dont 4,6 millions en l’espace de deux jours mi-avril, avaient annoncé les autorités locales. « Les pèlerinages, les meetings politiques… Tous ces points se sont surajoutés à une situation sanitaire déjà dégradée pour donner la situation actuelle catastrophique », estime Frédéric Landy.
Si les rassemblements inquiètent, le variant « indien » pourrait lui aussi être responsable de la flambée épidémique. Selon l'Institut de virologie de Pune, en Inde, cité par The Indian Express, ce variant « indien », appelé aussi B.1.617, a été identifié dans 61 % des échantillons prélevés dans l’Etat du Maharashtra, entre janvier et mars. Ce variant est qualifié de « double mutant » parce qu’il est notamment porteur de deux mutations préoccupantes au niveau de la protéine de pointe («spike ») du virus Sars-CoV-2. La première, E484Q, est proche de celle déjà observée sur les variants sud-africain et brésilien (E484K), soupçonnée d’entraîner une moindre efficacité de la vaccination et un risque accru de réinfection. La seconde, L452R, est également présente dans un variant repéré en Californie, et pourrait être capable d’entraîner une augmentation de la transmission.
Pourquoi les hôpitaux n’arrivent-ils pas à contrôler l’épidémie ?
Le système de santé indien est au bord de l’explosion. Dans les hôpitaux, des témoins décrivent des couloirs encombrés de lits et de brancards et des familles suppliant en vain qu’on leur fournisse de l’oxygène ou une place pour leurs proches mourants. « J’ai vu trois cadavres en six minutes », raconte à l’AFP Ravi Kumar, parvenu à faire admettre son grand-père octogénaire dans un hôpital de Delhi. Certains témoignages décrivent des couloirs encombrés de lits et de brancards occupés par deux ou trois personnes. « A l’intérieur, il n’y a pas de lits, juste des civières côte à côte avec deux patients sur chacune », ajoute Ravi Kumar.
« Ce n’est pas la dangerosité du virus qui est mise en évidence avec cette flambée épidémique, c’est la vétusté du système de santé indien, les structures sont catastrophiques, on manque de places, d’oxygène, de lits, de médicaments. En temps normal, si vous êtes riches, vous avez accès à des cliniques, si vous êtes pauvres, vous n’avez que très peu accès à un système de soins équitable. Mais actuellement, même les plus riches peinent à trouver un lit. Jusqu’ici, on était dans une Inde à deux vitesses, mais désormais, la situation est catastrophique pour tout le monde », s’inquiète Frédéric Landy.
Côté vaccination, les efforts déployés par l’Inde pour vacciner 300 millions de personnes d’ici juillet se sont heurtés à des obstacles. Seulement 114 millions d’injections ont été administrées jusqu’à présent, selon les autorités locales et des stocks de vaccins sont en baisse. « La vaccination a pris du retard pour de multiples raisons. Il fallait s’inscrire sur Internet pour y avoir accès, mais l’accès est très limité en Inde, les services de santé ne sont pas allés suffisamment vers les gens, en tout cas, pas dans les campagnes lointaines, ajoutez à cela les difficultés d’approvisionnement des vaccins et la peur du vaccin chez une partie de la population », analyse Frédéric Landy.
Que fait le gouvernement ?
Face cette « tempête », selon le Premier ministre indien Narendra Modi, les autorités locales ont prolongé d’une semaine le confinement en vigueur dans la capitale New Delhi. « Les ravages du coronavirus se poursuivent et il n’y a pas de répit », a annoncé le ministre en chef de Delhi Arvind Kejriwal. Dans le Maharashtra, tous les magasins non essentiels ont été fermés, tandis que dans l’État d’Uttar Pradesh, qui compte 200 millions d’habitants, un confinement a été mis en place le week-end.
Sous le feu des critiques pour son impréparation avant cette nouvelle vague de contaminations, le gouvernement central a mis en place des trains spéciaux pour acheminer des réserves d’oxygène vers les villes les plus touchées, escortés par l’armée. Il a également exhorté les industriels à accélérer la production d’oxygène et de médicaments qui manquent.
L’Inde a-t-elle reçu le soutien d’autres pays ?
Plusieurs pays se sont mobilisés pour apporter leur aide à l’Inde. Dimanche, les Etats-Unis ont annoncé qu’ils allaient « immédiatement » envoyer à l’Inde des composants pour la production de vaccins ainsi que des équipements médicaux. « Des équipements médicaux vitaux, dont des centaines de concentrateurs d’oxygène et des respirateurs, sont maintenant en route du Royaume-Uni vers l’Inde », a de son côté assuré le Premier ministre britannique Boris Johnson. L’Union européenne a quant à elle promis une « assistance », tandis que l’Allemagne se préparait à faire parvenir une aide d’urgence et que la France s’apprêtait à « apporter dans les prochains jours un soutien significatif en capacités d’oxygène ».