Un projet de base lunaire, l’ultime preuve du rapprochement entre la Chine et la Russie ?

COPAIN COPAIN Russes et Chinois ont annoncé mardi qu’il projetaient de construire ensemble une station « à la surface ou en orbite » de la Lune

Rachel Garrat-Valcarcel
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Xi Jinping, le président chinois, et Vladimir Poutine, le président russe, sont à la fête. (archives)
Xi Jinping, le président chinois, et Vladimir Poutine, le président russe, sont à la fête. (archives) — Alexei Druzhinin/AP/SIPA
  • Mardi, Moscou et Pékin ont annoncé leur projet de construire une station lunaire.
  • Depuis 2014, les deux géants coopèrent de plus en plus à mesure que les Occidentaux leur font les gros yeux.
  • Malgré tout ce qui sépare Moscou et Pékin, cette entente semble bien partie pour durer.

Imaginez, les drapeaux russes et chinois « flotter » haut sur une base spatiale lunaire. De la science-fiction ? Certainement pour le moment mais les deux puissances se sont au moins entendues sur le principe dans un mémorandum. Aucun budget, aucun calendrier n’est évoqué, ce qui jette un doute sur la réalité de l’engagement, mais tout de même : Pékin et Moscou se rapprochent sur la scène internationale. Cet accord n’est que le dernier épisode de cette romance sur le fleuve Amour, qui marque la frontière entre les deux pays en Extrême-Orient.

Pendant longtemps entre Russie et Chine la méfiance a pourtant été de mise. Il y a encore dix ans, les freins légaux aux investissements chinois en Russie étaient nombreux : « Les Chinois ne pouvaient pas participer à l’exploitation des gisements d’hydrocarbures ou à des coopérations technologiques avec des entreprises russes », rappelle pour 20 Minutes Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Iris, auteur de Petite histoire des relations franco-russes (Ed. L’Inventaire). Aujourd’hui ces contraintes sont levées et la part des importations chinoises en Russie est passée de 10 à 20 % en une décennie.

La crise ukrainienne : la bascule

Le déclic a surtout eu lieu en 2014, lors de la crise ukrainienne. À l’époque, la Russie occupe une partie de l’est de l’Ukraine et annexe la Crimée. L’Union européenne et les États-Unis voient rouge et décrètent d’importantes sanctions économiques contre Moscou, faute de pouvoir empêcher la modification des frontières. « C’est dans ce contexte que la Russie s’est tournée vers la Chine pour trouver d’autres débouchés », explique à 20 Minutes Alice Ekman, analyste responsable de l’Asie à l’Institut des études de sécurité de l’UE (EUISS).

Depuis, la coopération va bon train. « Il s’agit d’une entente informelle mais qui s’est quand même matérialisée par toute une série d’accords un peu techniques sur le gaz et l’énergie, sur l’éducation… », détaille Jean de Gliniasty. Par exemple, la Russie a longtemps reproché à la Chine de lui avoir « volé » son avion militaire Soukhoï et de lui faire concurrence avec son avion copié. Aujourd’hui, les deux puissances coopèrent sur un avion concurrent de l’Airbus A350. De fil en aiguille, on en arrive donc à cet accord sur une hypothétique station spatiale autour ou sur la Lune.

Une convergence conceptuelle

Puis les exercices militaires communs se sont multipliés depuis 2014, de la Méditerranée à la mer de Chine, en passant par la Sibérie. Enfin, il y a une coopération institutionnelle, dans les grandes organisations où les deux pays siègent. « À l’ONU ou dans d’autres institutions multilatérales les deux pays se soutiennent mutuellement sur certains dossiers et essayent de ne pas se contredire ou faire de l’ombre sur d’autres », note Alice Ekman. Il est désormais très régulier que Chine et Russie, tous deux membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, bloquent des tentatives de résolution des Occidentaux. Dernièrement : il a été impossible de faire adopter ne serait-ce qu’une déclaration sur le coup d’État en Birmanie.

Tous ces intérêts pragmatiques bien compris ne suffisent néanmoins pas à expliquer totalement cette nouvelle proximité. Le rapprochement, si surprenant que cela puisse paraître au premier abord, est aussi idéologique. « Gouvernement chinois et russes partagent un fort ressentiment anti-occidental, remarque Alice Ekman. Les deux pays veulent montrer que l’Occident serait en déclin. Certes, ce n’est pas une convergence idéologique totale mais cette convergence conceptuelle n’est pas à négliger. » Quoi de mieux pour installer l’idée d’un contre-modèle que d’avoir l’objectif d’aller, pour de bon, sur la Lune ?

Un déséquilibre flagrant

Reste à savoir si tout cela peut aller plus loin. Nombreux sont ceux et celles qui pointent le déséquilibre entre les deux pays. La Russie, 144 millions d’habitants, un PIB proche de celui de l’Espagne ou de l’Italie et un budget militaire à peine supérieur à celui de la France (60 milliards de dollars) fait face à la Chine, 1,4 milliard d’habitants, deuxième PIB mondial, 200 milliards de budget militaire. Un des deux est clairement en position de faiblesse : « La Russie n’a pas le choix dans cette relation car elle a été ostracisée par l’Occident. La Chine, elle, a le choix et se fait courtiser », analyse Jean de Gliniasty.

Alice Ekman est moins catégorique et juge le déséquilibre moins évident qu’il n’y paraît : « La Chine a à apprendre de la Russie, sur le plan militaire et stratégique notamment. C’est la Russie qui aide la Chine à développer un système d’alerte avancée pour la défense antimissile. Sur la désinformation, l’usage politique des réseaux sociaux, la Russie a une expertise qui peut intéresser la Chine. » Une alliance militaire formelle entre les deux paraît tout de même peu crédible à l’heure actuelle. Pékin refuse de longue date le système des alliances type Otan.

Deux conditions pour que ça dure

La suite de l’histoire entre la Chine et « son meilleur ami », d’après les mots de Xi Jinping, le président chinois, va dépendre de deux choses. D’abord, de la relation interpersonnelle entre, précisément, Xi Jinping, et Vladimir Poutine, le président russe. Actuellement franchement bonne, cette relation a largement permis de dépasser la méfiance traditionnelle, et qui existe sans doute encore à la base de la société, entre Russes et Chinois. « Tant que les deux resteront au pouvoir ça va continuer. La bonne entente a donc plusieurs années devant elle », pense Alice Ekman.

Enfin, même si cette bonne entendre russo-chinoise n’est pas que de circonstance, il y a un « noyau dur d’intérêts communs », estime Jean de Gliniasty, beaucoup dépend des relations de la Chine avec les États-Unis et de la Russie avec l’Europe. « Historiquement la priorité de la Russie a toujours été l’Occident et l’Europe. Et si la tension entre la Chine et les États-Unis devait encore augmenter, la Russie pourrait être confrontée à un choix difficile entre rompre définitivement avec l’Occident ou rompre avec la Chine. » Naviguer sur le fleuve Amour, entre Chine et Russie, reste naviguer sur des eaux sombres et pleines de méandres.