Affaire Navalny : Plus de 1.000 arrestations et des heurts après des manifestations de soutien à l'opposant
OPPOSITION A Moscou, où la mobilisation de l’opposition est habituellement la plus forte, la police avait promis de « réprimer sans délai » tout rassemblement non autorisé
Plus de mille personne ont été arrêtées par les forces de l'ordre en Russie ce samedi au cours de manifestations en soutien à l’opposant incarcéré Alexeï Navalny, selon l'ONG OVD-Info, spécialisée dans le suivi des manifestations dans ce pays. Dans la foule de quelque 10.000 personnes rassemblées dans le centre de Moscou, des journalistes de l'AFP ont assisté à de violentes arrestations et à des heurts entre policiers et manifestants.
Dans le centre de Moscou, les forces antiémeutes ont arrêté quelque 300 personnes, a fait savoir OVD Info, qui a comptabilisé au moins 1.090 arrestations en Russie, selon un bilan diffusé peu avant 15h. Ioulia Navalnaïa, l'épouse de l'opposant russe Alexeï Navalny, a annoncé avoir été elle aussi interpellée dans la capitale pendant la manifestation. Dans l'après-midi, la police moscovite a poursuivi et frappé à l'aide de matraques des manifestants leur jetant des boules de neige. Un correspondant de l'AFP a aperçu un homme au visage ensanglanté. A Saint-Pétersbourg, une foule de quelque 10.000 personnes s'était également rassemblée, a constaté une journaliste de l'AFP.
« Liberté aux prisonniers politiques ! »
De Moscou à Ioujno-Sakhalinsk, l’équipe du célèbre militant anti-corruption, victime d’un empoisonnement présumé cet été, a publié des appels au rassemblement dans 65 villes russes. Les premières manifestations ont eu lieu dans l’Extrême-Orient russe et en Sibérie, où des milliers de personnes sont descendues dans la rue notamment à Vladivostok, Khabarovsk, Novossibirsk et Tchita, selon les partisans d’Alexeï Navalny, en scandant « Liberté à Navalny ! », « Liberté aux prisonniers politiques ! », face à d’importants effectifs de la police anti-émeute déployés sur les lieux.
« Si je n’étais pas venu ici, j’aurais eu honte de regarder dans mes enfants et mes petits-enfants dans les yeux », a déclaré à l’AFP l’un des manifestants, un retraité, à Vladivostok. A Iakoutsk, au sud du Cercle polaire, une centaine de protestataires ont bravé le froid extrême en manifestant par – 50 degrés Celsius.
Arrestations brutales
Les arrestations ont été particulièrement brutales à Vladivostok, port russe sur l’océan Pacifique, où les policiers anti-émeute ont couru derrière les manifestants et les ont frappés avec des bâtons. A Moscou, où la mobilisation de l’opposition est habituellement la plus forte, la police a avait promis de « réprimer sans délai » tout rassemblement non autorisé. Le maire de Moscou, Sergueï Sobianine, a dénoncé des manifestations « inacceptables » en pleine pandémie de coronavirus. Les autorités n’ayant pas autorisé ces rassemblements, les protestataires s’exposent partout en Russie à des poursuites judiciaires.
En marge de la mobilisation, le ministère russe des Affaires étrangères a réclamé des «explications» à l'ambassade des Etats-Unis à Moscou, après la publication sur son site internet des «itinéraires» des manifestations. «De quoi s'agissait-il, d'influencer ou de donner des instructions [aux manifestants]?», a écrit la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova sur Facebook, «les collègues américains vont devoir venir s'expliquer place Smolenskaïa», l'adresse du ministère russe.
Mise en garde
Elle faisait allusion à la publication sur le site internet de l'ambassade d'une mise en garde appelant les ressortissants américains à ne pas se rendre aux manifestations de samedi en Russie. Dans ce texte, la représentation américaine précise dans quelles villes et dans quelles rues les rassemblements sont prévus. Pour la diplomate russe, il s'agissait d'encourager les manifestants. Selon elle, si l'ambassade de Russie à Washington avait agi de la sorte, cela aurait entraîné «des menaces de sanctions et des expulsions de diplomates russes». Les diplomates américains n'ont pas réagi dans l'immédiat. Mais la porte-parole de l'ambassade des Etats-Unis a en revanche dénoncé les centaines d'arrestations de manifestants.
La police russe a déjà interpellé cette semaine, en amont des mobilisations, des alliés de premier plan d’Alexeï Navalny dont deux ont été condamnés vendredi à de courtes peines de prison. Placé en détention jusqu’au 15 février au moins et visé par plusieurs procédures judiciaires, Alexeï Navalny, 44 ans, a été appréhendé le 17 janvier, dès son retour d’Allemagne, après cinq mois de convalescence suite à un empoisonnement présumé dont il accuse le Kremlin.
Pressions sur TikTok et YouTube
Dès l’arrestation d’Alexeï Navalny, condamnée par les puissances occidentales, ses soutiens ont relayé des milliers d’appels à la protestation sur les réseaux sociaux, où l’opposant jouit d’une visibilité importante, alors qu’il est largement ignoré des grands médias d’Etat russes. Pour limiter ces appels à manifester, le gendarme russe des télécommunications Roskomnadzor a menacé d’amendes les plateformes TikTok et Vkontakte (VK), l’équivalent russe de Facebook. Alors qu’une enquête a été ouverte pour « incitation à des actes illégaux auprès de mineurs », le ministère de l’Education a appelé les parents à « empêcher » leurs enfants de rejoindre des manifestations.
L’équipe d’Alexeï Navalny a tenté de galvaniser ses troupes en publiant mardi une enquête retentissante sur une somptueuse propriété dont serait bénéficiaire le président Vladimir Poutine. Baptisée « le palais de Poutine », cette demeure luxueuse sur les bords de la mer Noire aurait coûté, selon l’opposant, plus d’un milliard d’euros. Des accusations rejetées par le Kremlin. Vendredi soir, cette investigation avait été visionnée plus de 60 millions de fois sur YouTube, un record absolu parmi les enquêtes publiées ces dernières années par Alexeï Navalny.
Cette contestation s'organise à quelques mois des législatives prévues pour l'automne, sur fond de chute de popularité du parti au pouvoir Russie unie. Ces actions sont les manifestations les plus importantes depuis celle organisée par Alexeï Navalny - déjà - pendant l'été 2019 à Moscou en marge d'élections locales