Etats-Unis : Faut-il s’attendre à un dernier coup d’éclat de Donald Trump avant son départ de la Maison Blanche ?
INVESTITURE Ce mercredi, Joe Biden deviendra le 46e président des Etats-Unis. D’ici là, Donald Trump garde les rênes du pays, avec toutefois cette procédure d’impeachment au-dessus de la tête qui limite ses marges de manœuvre. Mais il pourrait encore faire parler de lui
- Donald Trump achèvera ses quatre années à la tête des Etats-Unis ce mercredi midi, en laissant la place à son successeur, le démocrate Joe Biden.
- Il lui reste donc encore quelques heures à passer dans le bureau ovale. De quoi lui permettre des derniers coups d’éclats ? Peu probable avec la procédure d’impeachment lancé contre lui, qui devrait l’inciter à ne pas faire de vagues.
- Donald Trump pourrait toutefois faire parler de lui dans ces dernières heures, que ce soit à travers la liste de grâces présidentielles qu’il doit publier d’ici à mercredi midi. Ou encore, tout simplement, en brillant par son absence lors de la cérémonie d’investiture.
Que fera Donald Trump de ses dernières heures à la Maison-Blanche ? Mercredi, « le 45e président des Etats-Unis quittera la Maison Blanche à 8h [14h, heure française] mais restera président jusqu’à 12h01 et l’investiture officielle de son successeur, le démocrate Joe Biden », indique Jean-Eric Branaa, maître de conférences à l’université Panthéon- Assas (Paris II) et docteur en civilisation américaine*.
Ce qui lui laisse potentiellement encore le temps de marquer ses quatre années de mandat par un dernier coup d’éclat ? Ni Jean-Eric Branaa, ni François Vergniolle de Chantal**, professeur de civilisation américaine à l’Université de Paris-Diderot, n’y croient. Même après le coup de fil du 8 janvier dernier de la démocrate Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, au chef d’État-major, Mark Milley, sur le risque qu’« un président instable ne lance des hostilités militaires » dans les dernières heures de son mandat.
La procédure d’impeachment comme épée de Damoclès ?
« Un coup de com' de Nancy Pelosi », disent les deux universitaires. « Donald Trump n’aurait aucune légitimité à signer un quelconque décret et lancer une nouvelle politique », précise François Vergniolle de Chantal, qui juge tout aussi improbable un coup d’éclat de Donald Trump sur la scène internationale. « Quelle en serait la rationalité et quel avantage en tirerait-il ? », lance-t-il. Jean-Eric Branaa rappelle aussi que Donald Trump est toujours sous le coup d’une procédure d’Impeachment pour « incitation à l’insurrection » pour son discours ayant précédé l’envahissement du Capitole le 6 janvier dernier. « Il est sous la menace d’une condamnation qui pourrait prendre la forme d’un blâme de la République assortie d’une inéligibilité à vie, rappelle-t-il. Il n’a aucun intérêt à alourdir son dossier en ajoutant de nouvelles décisions délictuelles. Il est de fait tenu à beaucoup de réserves. »
Tout de même, Donald Trump pourrait faire une dernière fois parler de lui à travers la liste de grâces présidentielles qu’il doit publier d’ici à mercredi midi. Liste qui devrait comprendre plus d’une centaine de noms. « Ces grâces sont un rituel pour chaque président américain en toute fin de mandat, rappelle la politologue et historienne Nicole Bacharan***, spécialiste des Etats-Unis. Habituellement, elles visent à corriger la brutalité excessive de la justice américaine dans certains cas et à gracier les gens ayant démontré qu’ils avaient compris leur erreur passée et réparé ce qu’ils pouvaient. »
Dernière surprise avec les grâces présidentielles ?
Donald Trump pourrait faire un autre usage de ce pouvoir. « Les premiers pardons qu’il a accordé montrent qu’il n’est pas dans l’optique de réparer des torts de la justice américaine, mais bien plus d’effacer des décisions de justice qu’il n’a pas appréciées », explique Jean-Eric Branaa. Il a ainsi gracié, fin décembre, plusieurs collaborateurs liés à l’affaire de l’ingérence russe pendant la campagne présidentielle de 2016. Notamment Paul Manafort, son ancien directeur de campagne, Michael Flynn, son ancien conseiller à la sécurité nationale, ou Georges Papadopoulos, son conseiller diplomatique pendant 2016.
Ira-t-il plus loin dans ses prochaines grâces présidentielles ? Ces dernières semaines, la presse américaine rapporte qu’il a interrogé ses collaborateurs et avocats au sujet de la possibilité de se gracier lui-même. Le président sortant a aussi relayé sur Twitter un message d’un représentant républicain l’appelant à se gracier tout seul, rappelle Le Figaro. « Il n’est pas impossible qu’il tente le coup, de même qu’il cherche à gracier ses proches dans la perspective d’ennuis judiciaires futurs, estime Nicole Bacharan. Mais il faut que ça soit juridiquement possible et, encore une fois, Donald Trump est sous le coup d’une procédure d’impeachment et prendrait des risques à aggraver encore sa situation. »
Cette épée de Damoclès que constitue la procédure d’Impeachment devrait aussi pousser Donald Trump à quitter la Maison Blanche sans faire de vague mercredi. Le républicain avait un temps évoqué l’idée d’un grand meeting rassemblant ses partisans, organisé au moment même de l’investiture de Joe Biden. « Il n’en a plus parlé ces derniers jours et il est fort probable qu’il se contente de rejoindre sa résidence secondaire de Mar-a-Lago (Floride) », pointent Jean-Eric Branaa et Nicole Bacharan.
Une cérémonie d’investiture inédite ?
Un départ de Washington annoncé tôt dans la journée, si bien que Donald Trump brillera par son absence lors de la cérémonie d’investiture. « Cela est déjà arrivé dans l’Histoire des Etats-Unis qu’un président sortant n’assiste pas à l’investiture de son successeur, mais jamais aux XXe et XXIe siècle, précise Jean-Eric Branaa. On s’était habitué à de vraies transmissions de pouvoir, le président tout juste élu prenant le soin de remercier son prédécesseur pour ce qu’il a fait pendant quatre ans. Il n’y aura rien de tout ça mercredi. »
A quoi alors ressemblera l’investiture de Joe Biden ? Le 46e président des Etats-Unis prêtera serment, une main sur la Bible depuis les marches du Capitole, tout comme sa vice-présidente Kamala Harris. Les équipes de Biden commencent aussi à égrainer sur Twitter la liste des stars attendues, parmi lesquelles les chanteuses Lady Gaga et Jennifer Lopez. Voilà pour les grandes lignes.
Washington barricadé
Le reste est flou. A la pandémie de Covid-19 s’est ajouté l’assaut du Capitole, toujours dans toutes les têtes, si bien que cette cérémonie d’investiture s’inscrit dans un climat des plus tendus. Le Washington Post évoque 2.000 personnes présentes sur place seulement, quand l’événement attire habituellement plusieurs centaines de milliers de citoyens. 20.000 militaires de la Garde nationale seront par ailleurs déployés dans Washington mercredi pour empêcher tout nouveau débordement des partisans pro-Trump.
« Il y a un tel niveau de sécurité qu’il semble peu probable que cette cérémonie d’investiture puisse être perturbée, glisse François de Chantal. En revanche, des émeutes similaires à celle du 6 janvier sont possibles ailleurs dans le pays, notamment dans les capitales des différents Etats. » Une éventualité à laquelle se prépare le FBI, selon un document interne évoqué par plusieurs médias américains, dont CNN.
* Aauteur de Joe Biden, l’homme qui doit réparer l’Amérique (ed. Nouveau Monde), La constitution américaine et les institutions (ed. Ellipses), ou encore Trumpland, portrait d’une Amérique divisée (ed. Privat).
** Auteur de L'impossible présidence impériale (CNRS Editions, 2016).
*** Auteure de Le Monde selon Trump (Taillandier, 2019)