Présidentielle américaine : Malgré un vote anticipé qui bat des records, on pourrait ne pas connaître le vainqueur le 3 novembre
DECRYPTAGE En pleine pandémie, l'explosion du vote par correspondance et de possibles recours devant les tribunaux pourraient plonger les Etats-Unis dans l'incertitude pour plusieurs semaines
- Le vote anticipé va battre des records, mais le résultat de l’élection, lui, pourrait bien se faire attendre au-delà du 3 novembre.
- En cause, notamment, le système de collecte des bulletins différents selon les Etats. Certains accepteront ainsi les enveloppes jusqu’à dix jours après le scrutin.
- La menace d’une bataille judiciaire à rallonge plane donc sur la présidentielle américaine, à moins qu’un gagnant clair (plus probablement Biden, à en croire les sondages) n’apparaisse.
C’est un paradoxe. Alors que le vote anticipé (par correspondance et en personne) est parti pour battre des records en pleine pandémie de coronavirus, on pourrait ne pas savoir qui de Joe Biden ou de Donald Trump a remporté la présidentielle américaine au soir du 3 novembre prochain.
Certains Etats cruciaux mettront en effet plusieurs jours pour dépouiller les bulletins postaux. Avec le risque d’un bras de fer judiciaire en cas de scrutin serré, qui pourrait faire passer le recomptage Bush-Gore de l’an 2000, qui avait tenu en haleine l'Amérique pour quatre semaines, pour une promenade de santé.
Une majorité des bulletins déposés avant le scrutin
En 2016, 40 % des électeurs s’étaient prononcés avant le scrutin, par correspondance ou via le vote anticipé. Cette année, on l’a dit, ce record devrait être explosé. Jeudi, « plus de 17 millions d’Américains » avaient déjà voté, selon Michael Mcdonald, à la tête de l’Election Projects à l’université de Floride. C'est douze fois plus qu'en 2016 à la même date.
En Géorgie, lundi, des centaines de milliers d’électeurs ont notamment fait la queue plusieurs heures pour déposer leur bulletin en personne. Idem au Texas, où la tendance est amplifiée par les 1,8 million de nouveaux électeurs inscrits sur les listes depuis 2016. Au total, plus de 80 millions de « mail-in ballots » (vote par correspondance) ont été demandés ou envoyés aux Américains. Prédire un chiffre exact est complexe, mais Michael Mcdonald estime que « jusqu’à deux tiers » des votants pourraient s’être déjà prononcés d’ici au 3 novembre. Et le dépouillement s’annonce compliqué.
Des Etats seront à la traîne
La situation est complexe et varie d’un Etat à l’autre. Certains autorisent le « pré-traitement » des bulletins, qui peuvent faire plusieurs pages, avant le 3 novembre (vérification des signatures, des adresses, du fait qu’ils sont bien remplis…), ce qui fait gagner du temps lors du dépouillement par les machines. Pour compliquer le tout, certains Etats accepteront les enveloppes jusqu’à 10 jours après le scrutin, à condition qu’elles aient été postées avant le 3 novembre, le cachet de la Poste faisant foi.
Au total, deux fois plus de démocrates que de républicains pourraient voter par correspondance, mais les supporters de Donald Trump devraient être majoritaires à se rendre dans les isoloirs le Jour J, le 3 novembre. Le président américain pourrait donc avoir l’air d’être nettement en tête en début de soirée – un scénario décrit comme un « mirage rouge », pour la couleur du parti républicain, par les experts – avant de se faire rattraper par Joe Biden à mesure que le vote anticipé sera comptabilisé.
Dans la dizaine de « swing states », où l’élection devrait se jouer, certains, sauf en cas de résultats serrés, devraient être en mesure d’annoncer le vainqueur dans la nuit, explique Michael Mcdonald : Floride, Ohio et Caroline du Nord. En revanche, il pourrait falloir patienter plusieurs jours pour trois Etats que Donald Trump avait remportés d’un cheveu en 2016 face à Hillary Clinton, et où Joe Biden est cette fois favori : Michigan, Wisconsin et Pennsylvanie.
Le risque d’une bataille judiciaire
Même s’il n’y a jamais eu de problème majeur par le passé, Donald Trump agite le spectre d’une fraude massive sur le vote par correspondance. En cas de scrutin disputé, des recours pourraient être déposés par les partis devant la justice pour faire interdire certains bulletins. Professeur de sciences politiques à l’université du Maryland, Jeffrey Davis envisage même un scénario catastrophe dans lequel des Etats dirigés par des gouverneurs républicains refuseraient de valider des résultats et choisiraient des grands électeurs pro-Trump. Parce que le scrutin américain est un suffrage indirect, il est, en théorie, possible que le vote populaire soit court-circuité par ce collège électoral, pour une bataille constitutionnelle qui serait alors arbitrée par la Chambre des représentants ou la Cour suprême.
Pour Chris Edelson, professeur de sciences politiques à l’université de Washington, « c’est pour cette raison que le refus de Donald Trump de s’engager à accepter les résultats est particulièrement inquiétant pour la démocratie ». Surtout dans un climat tendu de manifestations ponctuées d'affrontements dans lesquels s'invitent des milices armées d'extrême droite. Michael Mcdonald reste cependant optimiste : selon lui, avec l’avance actuelle de Joe Biden dans les sondages, « il est probable qu’une carte assez nette se dessine au soir du 3 novembre, surtout si Donald Trump perd la Floride ».