Mali : Pourquoi l’otage française Sophie Pétronin est-elle libérée maintenant ?
DIPLOMATIE La Française Sophie Pétronin, retenue en otage au Mali depuis le 24 décembre 2016, a été libérée, aux côtés d’une personnalité malienne kidnappée en mars dernier
- Sophie Pétronin, une médecin humanitaire de 75 ans, enlevée le 24 décembre 2016 au Mali, a été libérée ce jeudi. Il s’agissait de la dernière otage française dans le monde.
- Des extractions ont eu lieu afin de la libérer ainsi que Soumaïla Cissé, ancien ministre et candidat à la présidentielle, kidnappé il y a plus de six mois.
Après près de quatre ans de captivité au Mali, Sophie Pétronin, la dernière otage française dans le monde, a été libérée ce jeudi, a annoncé la présidence malienne dans un tweet. Mais ce n’est pas la seule : un autre otage, Soumaïla Cissé, une personnalité malienne de premier plan, enlevé en mars 2020, a lui aussi été libéré.
Originaire de Bordeaux, Sophie Pétronin, 75 ans, a été enlevée le 24 décembre 2016 par des hommes armés à Gao, au nord du Mali, où elle vivait et dirigeait depuis des années une organisation d’aide à l’enfance. Depuis près de cinq ans, ses proches n’avaient cessé de se mobiliser pour sa libération, appelant Emmanuel Macron à poursuivre les négociations avec les ravisseurs. Pourquoi ces libérations interviennent-elles maintenant ? 20 Minutes fait le point.
Soumaïla Cissé, principale monnaie d’échange
Plus d’une centaine de djihadistes, emprisonnés au Mali, ont été libérés entre ce week-end et mardi (206 selon un organe de communication d’Al-Qaida). Dans le même temps, les rumeurs de la libération de Sophie Pétronin et Soumaïla Cissé, une personnalité malienne de premier plan, ont enflé. Ce dernier, ancien ministre et candidat à trois reprises à la présidentielle, a été kidnappé le 25 mars dernier alors qu’il était en campagne législative dans la région de Tombouctou (nord-ouest). Les deux otages, la dernière Française détenue à travers le monde pour l’une et une figure politique nationale au Mali pour l’autre, auraient vraisemblablement servi de monnaie d’échange dans les négociations avec les groupes islamistes.
« C’est évidemment une monnaie d’échange, mais c’est surtout le cas pour Soumaïla Cissé. C’est une personnalité de premier plan au Mali », explique Serge Michailof, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Selon lui, « la France a profité des négociations autour de la libération de Soumaïla Cissé pour organiser celle de Sophie Pétronin ». Pour ce spécialiste des conflits dans le monde, la libération de l’ancien ministre malien était dans les tiroirs depuis plusieurs mois, « mais c’est la liste des prisonniers djihadistes à libérer qui posait problème », a-t-il expliqué à 20 Minutes. Pour Caroline Roussy, chercheuse à l’Iris et docteure en histoire de l’Afrique contemporaine, « l’enjeu principal de la libération, ce n’est pas Sophie Pétronin, mais bien Soumaïla Cissé ».
Une belle opération pour les djihadistes
Si des échanges d’otages ont déjà eu lieu par le passé, des libérations d’une telle ampleur sont exceptionnelles. « Ce n'est pas une première », estime Caroline Roussy, mais cette négociation est « un très bon coup pour les djihadistes ». « Ils ont voulu faire monter les enchères. Ils n’ont pas voulu d’argent et ont préféré obtenir la libération de leurs hommes, qui a bien plus de valeur », indique-t-elle. Mais pour la chercheuse, une question reste en suspens : qui sont ces djihadistes ?
« Plus ce sont des gros poissons, plus ils sont haut placés dans les groupes terroristes, plus l’opération est réussie pour eux. » Pour le moment, ni la France, ni le Mali n’ont communiqué sur l’identité et l’appartenance des djihadistes libérés. « On n’a aucune idée de qui sont ces djihadistes ou à quel groupe ils appartiennent. Mais Soumaïla Cissé est une personnalité de premier plan au Mali, ça a permis aux djihadistes de négocier pouvoir récupérer le maximum des leurs », ajoute Serge Michailof.
Une position délicate pour la France
La remise en liberté d’autant de djihadistes constitue l’un des actes les plus forts accomplis par la junte militaire qui a renversé l’ancien président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août dernier. « Avec cette libération, la junte montre qu’elle a réussi là où Ibrahim Boubacar Keïta a échoué pendant plusieurs années », décrypte Caroline Roussy, estimant qu’il s’agit d’un gain de crédibilité considérable pour les autorités de transition installées et dominées par les militaires. Si les otages sont libérés aujourd’hui c’est que « la libération de Soumaïla Cissé n’était pas dans l’intérêt du régime malien antérieur, analyse Serge Michailof. Il existe même des rumeurs selon lesquelles c’est l’ancien régime qui avait commandité son enlèvement pour qu’il ne gêne pas la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta ».
Selon le chercheur, le nouveau régime, lui, avait tout intérêt à prendre en main les négociations autour de la libération du Malien : « La junte n’a pas de contentieux avec Soumaïla Cissé. Comme il s’agit d’une personnalité importante, ils ont pris en main les négociations, c’est à leur avantage. »
Et la place de la France dans tout ça ? Pour Caroline Roussy, l’Hexagone se retrouve maintenant dans une position très délicate : « La France va se retrouver dans une situation de redevabilité vis-à-vis de la junte. Les militaires de l’opération Barkhane sont sur place depuis 2014 et ce sont eux qui œuvrent à arrêter ces djihadistes. En d’autres termes, la France va devoir remercier la junte qui a libéré les djihadistes qu’elle a elle-même concouru à arrêter ». Ces situations font toutefois partie du « jeu diplomatique » ayant servi à ramener la dernière Française détenue dans le monde. Un résultat qui n’a pas de prix, autant sur le plan humain que politique.