Mort d'al-Baghdadi : Pourquoi Donald Trump a-t-il procédé à une telle mise en scène ?
DAESH Donald Trump a sorti le grand jeu pour annoncer dimanche la mort du chef de Daesh, al-Baghdadi. Une manœuvre politique avec l’objectif clairement affiché de 2020
- Le chef du groupe Etat Islamique Abou Bakr al-Baghdadi a été tué dimanche lors d'une opération américaine.
- Donald Trump n’a pas hésité à mettre en scène l'annonce de cette mort.
- Une aubaine pour flatter l’ego de ses électeurs, mais également pour préparer les élections présidentielles de 2020.
Donald Trump n’a pas fait dans la demi-mesure au moment d’annoncer la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de Daesh, dimanche. Photo de lui et du commandement des forces armées, tweet de pré-annonce, citation tapageuse où il évoque un al-Baghdadi « mort comme un lâche et comme un chien », glorification de sa propre personne, tout y est passé.
Mais que cache une telle mise en scène ? La manœuvre est bien sûr avant tout politique. Pour Jean-Eric Branaa, maître de conférences à la Sorbonne sur la politique américaine, une telle appréciation de la mort d’al-Baghdadi s’inscrit dans la logique de sa campagne électorale de 2016, où la lutte contre le terrorisme était un de ses axes forts : « Il a toujours défendu l’idée qu’il suffisait d’arriver sur place, de poser des bombes et de partir pour régler le problème Daesh. Quelque part, la façon dont est mort al-Baghdadi lui donne raison », note l’universitaire.
Sans parler d’une America plus « great again » que jamais depuis qu’elle a tué l’ennemi public mondial numéro 1 : « On retrouve l’idée d’une Amérique forte, qui combat et terrasse le Mal. Il ne faut pas oublier que Daesh a fait plusieurs attentats sur le sol américain, un affront que l’Amérique devait laver », souligne le maître de conférences.
Une communication prévue pour ces électeurs
Une mise en scène aussi tapageuse, est-ce aussi l’occasion pour Donald Trump de faire oublier le retrait des troupes américaines en Syrie et les conséquences dramatiques que cela a eues, tant pour les Kurdes que pour la libération de djihadistes ? Pour Philippe Lagrange, professeur de droit international à l’université de Poitiers et spécialiste de la Syrie, il s’agit d’une coïncidence heureuse mais loin d’être décisive : « Ça tombe bien pour lui, mais il faut bien comprendre que sa communication est pensée pour son électorat, qui n’en a pas grand-chose à faire des conséquences du retrait américain. » Au contraire même : « Le retrait américain en Syrie est très populaire pour l’électorat Trumpien, il n’a pas du tout à s’en défendre ou s’en cacher », aquiesce Jean-Eric Branaa.
Ça tombe bien pour ses électeurs, qui ont de quoi être flattés dans leur ego avec ce plan de communication. Même les termes employés pour désigner la mort, « comme un lâche et un chien », avaient un but précis. Philippe Lagrange y évoque un « non-sens militaire énorme, risquant d’encore plus énerver les partisans de l’EI. Mais pour l’électeur américain de Trump, quelle victoire, quelle humiliation pour Daesh de voir son leader traité ainsi, quelle revanche pour l’Amérique. »
Prends ça, Barack Obama
Pourtant, une telle communication a aussi un autre but : l’élection de 2020, et une revanche sur Barack Obama. « Tout le mandat de Donald Trump s’évertue à détruire l’héritage de son prédécesseur », rappelle Jean-Eric Branaa. Mais un fait d’arme restait intouchable et indélébile : la mort d’Oussama ben Laden, survenue sous le mandat du président démocrate. Or, pour l’élection de 2020, Donald Trump est « persuadé de tomber sur Joe Biden en face de lui, une copie conforme de Barack Obama. » Un homme « ultra-compétent en politique étrangère », puisqu’il fut vice-président pendant les deux mandats démocrates de 2008 à 2016 et qu’il était chargé du volet politique étrangère.
Ce registre a longtemps été le point faible de Donald Trump. Un talon d’Achille dont le président américain a bien conscience. Ce dernier a donc sauté sur l’occasion : « Jusque-là, il n’avait jamais réussi à endosser le rôle de commandant en chef. Il fait tout depuis un an pour montrer qu’il est un acteur majeur en politique mondiale : il s’est montré très sage au G7, il a décidé du retrait des troupes en Syrie, et cerise sur le gâteau, il tue al-Baghdadi », énumère Jean-Eric Branaa. Ce dernier, auteur du tout récent livre Joe Biden, le troisième mandat de Barack Obama, voit donc dans toute cette mise en scène un plan anti-candidat démocrate : « Quand Joe Biden lui renverra ses erreurs géopolitiques, comme la Corée du Nord ou l’Iran, il pourra toujours rétorquer qu’il a décapité Daesh. » Et ça, c’est un argument comme Trump les aime : simple et frappant.