VIDEO. Renoncement de Bouteflika: Les Algériens partagés entre joie et prudence
ALGERIE Dans la rue et sur les réseaux sociaux, au-delà de la joie provoquée par l'intention du président de ne pas se représenter, certains Algériens invitaient à poursuivre la mobilisation
- Le président algérien Abdelaziz Bouteflika a renoncé lundi soir à se représenter et reporté sine die la présidentielle.
- Il était la cible d’un mouvement de contestation inédit en 20 ans de pouvoir.
- L'annonce a été accueillie dans la joie en Algérie, immédiatement suivie par une inquiétude sur le maintien, pour l’instant, du président à ses fonctions.
- Dans la rue et sur les réseaux sociaux, certains Algériens invitaient à poursuivre la mobilisation.
« Il n’y aura pas de cinquième mandat » et « il n’y aura pas d’élection présidentielle le 18 avril ». Le président algérien Abdelaziz Bouteflika, cible d’un mouvement de contestation inédit en 20 ans de pouvoir, a renoncé lundi soir à se représenter et reporté sine die la présidentielle, tout en restant au pouvoir et en prolongeant de fait son actuel mandat. Une annonce accueillie dans la joie en Algérie, immédiatement suivie par une inquiétude sur le maintien, pour l’instant, du président à ses fonctions.
Lundi, l’annonce faite par le chef de l’Etat dans un message à la Nation a aussitôt été saluée par un concert ininterrompu de klaxons dans le centre d’Alger, largement déserté par la police, pourtant largement déployée durant la journée. « Pacifiquement, on a fait tomber la marionnette ! », chantaient des Algérois, mélangeant le surnom dont une chanson affuble le président et un des mots d’ordre de la contestation : « pacifique ! ». Des centaines de personnes, brandissant le drapeau national - vert et blanc, frappé d’une étoile et d’un croissant rouges - se sont rassemblés sur plusieurs places du centre d’Alger en entonnant les chants des deux semaines de contestation.
Les Algériens n’ont « pas droit à l’erreur » face à la « responsabilité historique » liée à la décision du président Abdelaziz Bouteflika de ne pas briguer un cinquième mandat, a jugé le nouveau vice-Premier ministre Ramtane Lamamra. « Il appartient maintenant aux femmes, aux hommes et surtout aux jeunes de ce pays de se hisser au niveau, au diapason de cette responsabilité historique. Nous n’avons pas droit à l’erreur, je crois qu’ensemble nous bâtirons cet avenir meilleur pour le peuple algérien », a-t-il déclaré sur Radio France Internationale.
« Ça veut dire quoi, quand il dit qu’il rajoute un an à son mandat ? »
Dans la rue et sur les réseaux sociaux, au-delà de la liesse, certains Algériens invitaient à poursuivre la mobilisation. « Ça veut dire quoi, quand il annonce qu’il ne brigue pas un 5e mandat mais qu’il rajoute un an (à son mandat actuel) ? C’est ce qu’il voulait depuis le début, reporter les élections et avoir un an de plus », souligne Ahmed Bekhti, fonctionnaire de 28 ans qui « aimerait que (…) le vote ne soit pas reporté et que Bouteflika et son clan quittent le pouvoir ».
En s’engageant « à remettre les charges et les prérogatives de président de la République au successeur que le peuple algérien aura librement élu », Abdelaziz Bouteflika a en effet fait savoir qu’il resterait en fonction au-delà de l’expiration de son mandat le 28 avril 2019 et ce jusqu’à ce qu’un nouveau président sorte des urnes, c'est-à-dire à une date encore indéterminée. «Il annule la présidentielle mais reste au pouvoir: la dernière ruse de Bouteflika», résume ainsi en «une» l'influent quotidien El Watan.
« Le président Bouteflika se moque du peuple »
Le dessinateur de presse Ali Dilem, observateur incisif de la vie politique algérienne, a résumé dans un dessin publié sur Twitter la nouvelle équation. Sous le titre « Bouteflika renonce à un 5e mandat de cinq ans », on y voit le chef de l’Etat dire « à la place, je ferai un 4e mandat de 10 ans ».
Pour Ali Benflis, ancien Premier ministre de Bouteflika passé à l'opposition, «l'allongement du 4e mandat est une agression contre la Constitution par les forces non constitutionnelles (notamment un des frères et conseiller spécial du président considéré comme le vrai chef de l'Etat)». Ces forces «se sont emparées des centres de décision», a dénoncé dans une vidéo postée sur le web Ali Benflis, qui a créé en 2014 le parti Talaie El-Hurriyet (Avant-garde des libertés).
Aucun texte - Constitution ou loi - n’est invoqué dans son message pour reporter la présidentielle. Pour la spécialiste de droit constitutionnel Fatiha Benabou, professeur à l’Université d’Alger, « il n’y a pas de base légale pour reporter les élections. En cas de crise politique, la Constitution algérienne est partiellement ineffective ».
A Annaba, quatrième ville du pays, très mobilisée, « le sentiment des gens est mitigé, pour eux c’est une demi-victoire ou une victoire confisquée », a expliqué à l’AFP un journaliste sur place.
Dans un tweet, l’ex-diplomate et ancien ministre de la Culture (1998-1999) Abdelaziz Rahabi estime que « le président Bouteflika se moque du peuple (…) Son acharnement à rester au pouvoir va pousser le pays vers l’inconnu et est un danger pour la stabilité de l’Etat et l’unité du pays ». Sur les réseaux sociaux, se propage un message disant « Non à l’arnaque du peuple, rendez-vous le 15 mars » pour un 4e vendredi consécutif de manifestations.