Donald Trump a-t-il vraiment le droit de «s'auto-gracier»?

ETATS-UNIS Le débat fait rage aux Etats-Unis, alors que le président américain et ses avocats assurent qu'il dispose d'un droit «absolu»...

Philippe Berry
Donald Trump, le 8 mars 2018 à la Maison Blanche.
Donald Trump, le 8 mars 2018 à la Maison Blanche. — Evan Vucci/AP/SIPA

De notre correspondant aux Etats-Unis,

Les pères fondateurs n’avaient sans doute pas pensé à ça. En pleine enquête du procureur spécial Robert Mueller, Donald Trump a pris les devants, lundi, jurant qu’il disposait d’un « droit absolu » de s’auto-gracier. Pour l’instant purement théorique, le débat fait rage à Washington.

« Comme cela a été stipulé par de nombreux spécialistes du droit, j’ai le droit absolu de me GRACIER, mais pourquoi le ferais-je alors que je n’ai rien à me reprocher ? », a écrit le président, après avoir juré que la nomination du procureur spécial, provoquée par le limogeage du patron du FBI James Comey, était « ANTICONSTITUTIONNELLE ».

Le flou de la Constitution

Alors, Donald peut-il gracier Trump ? « Oui », écrit John Yoo, ancien avocat du département de la Justice sous George W. Bush, qui avait rédigé le fameux mémo justifiant légalement l’emploi de la torture au nom de la sécurité nationale. Selon cette vue partagée par plusieurs autres experts, la grâce présidentielle, telle que définie par la Constitution, n’a presque aucune limite : « Le président aura le pouvoir d’accorder des sursis et des grâces pour crimes contre les États-Unis, sauf dans les cas d’impeachment. » Cela signifie simplement qu’une grâce ne protège pas d’une destitution, qui est un processus politique mené au Congrès.

Dans le camp opposé, l’avocat Norman Eisen, qui fut conseiller d’Obama sur l’éthique, affirme qu’un président ne peut pas s’auto-gracier à cause d’un pilier fondamental du droit : personne ne peut être à la fois « juge et partie », ou, pour flamber en soirée, la version latine : « Nemo judex in causa sua ». En 1974, en plein Watergate, Richard Nixon avait posé la question aux avocats de la Maison Blanche, qui lui avaient dit non, citant le même argument. Nixon avait démissionné quatre jours plus tard.

« Une théorie jamais testée »

En pratique, il s’agit « d’une zone grise car cette théorie n’a jamais été mise à l’épreuve », répond Chris Edelson, professeur de sciences politiques à l’American University de Washington. « Aucun président n’a tenté quelque chose d’aussi incroyable. Le simple fait d’avoir cette discussion est extraordinaire », estime-t-il.

« Politiquement, ça serait un désastre, juridiquement, je ne sais pas », a estimé le sénateur républicain Lindsey Graham. Interrogé par un journaliste américain, l’ancien adversaire de Donald Trump, Ted Cruz, pourtant expert en droit constitutionnel, a réfléchi pendant 17 secondes avant de répondre : « Je n’ai pas étudié ce point précis. Je préfère ne pas me prononcer à ce stade. »

Le coup politique serait énorme et provoquerait à coup sûr une bataille au Congrès pour engager une procédure d’impeachment. Qui doit être voté à la majorité simple à la Chambre puis à la majorité des deux tiers au Sénat pour destituer un président. Pourquoi alors prendre un tel risque ? « Même en cas de destitution, une grâce protégerait Trump de poursuites ultérieures au pénal », précise Chris Edelson. Encore faut-il qu’un « self pardon » soit légal, un point qui pourrait, le cas échéant, être tranché par la Cour suprême. On n’en est pas là. Comme Donald Trump le jure, il n’a « rien à se reprocher ».