Présidentielle russe: «En réalité, la question de la succession de Poutine va rapidement se poser»
RUSSIE Vladimir Poutine devrait entamer un quatrième mandat à l’issue de la présidentielle en Russie dont le premier tour a lieu le 18 mars…
- Le pouvoir russe pousse pour une participation élevée, afin de légitimer le probable nouveau mandat présidentiel de Vladimir Poutine.
- Régnant sur la Russie depuis 18 ans, celui-ci envisage d'importantes réformes économiques.
- Poutine pourrait être en train d'envisager sa succession, selon le directeur de l'Observatoire franco-russe.
Suspense pas vraiment intenable. Au pouvoir depuis plus de 18 ans, le président russe Vladimir Poutine devrait être conforté par les urnes pour un quatrième mandat au Kremlin. « Personne ne voulait nous parler, personne ne voulait nous écouter, écoutez désormais », a-t-il tonné lors de l’un de ses rares discours de campagne, aux accents véhéments contre les Etats-Unis, et annonciateur de réformes économiques libérales.
Le directeur de l’Observatoire franco-russe, Arnaud Dubien, par ailleurs chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques, décrit pour 20 Minutes les contours de ce nouveau mandat, peut-être le dernier.
Y a-t-il un désintérêt de l’électorat russe pour cette élection ?
Sans doute. Il sera plus finement mesuré le 18 mars avec le taux de participation, qui était pour rappel de 65 % en 2012. Peu de monde imagine qu’il sera supérieur cette fois-ci, car il y a très peu de suspense. C’est d’ailleurs l’une des préoccupations du pouvoir, qui cherche à mobiliser. Une participation faible ne serait pas un très bon signe pour légitimer ce nouveau mandat ; inférieure à 50 %, ce serait catastrophique. Mais la campagne n’est pas non plus très intéressante. Vladimir Poutine n’en mène pas vraiment une, se contentant d’un grand discours le 1er mars devant l’Assemblée fédérale, et les débats entre les autres candidats tournent parfois à la farce. Rien qui ne crédibilise la chose politique dans le pays.
Par ce quatrième mandat à venir, Vladimir Poutine veut-il absolument garder le pouvoir ou est-ce parce qu’il n’a pas trouvé de successeur ?
Il est manifestement populaire, encore relativement jeune (65 ans) et en forme, et il peut continuer pour 6 ans selon les termes de la Constitution. Mais en réalité, la question de sa succession va rapidement se poser, dès le lendemain du 18 mars dans les têtes, probablement autour de 2021 dans les faits, date des prochaines élections à la Douma (l’Assemblée nationale russe). Contrairement à ce que l’on pense en Occident, Poutine n’a pas vocation à rester jusqu’à la fin de ses jours. S’il avait voulu modifier la Constitution en ce sens, il l’aurait fait en 2007. Il ne l’a pas voulu, considérant que ce qui est possible dans les steppes d’Asie centrale ne sied pas à un pays malgré tout européen comme la Russie.
Il cherchera à maîtriser sa succession ?
Bien sûr, afin d’éviter les turbulences, pour que son héritage politique ne soit pas dilapidé par ses amis en quelques semaines. Il faut s’attendre à ce qu’il surprenne, c’est l’une de ses constantes. Imaginer qu’il parte avant la fin de son nouveau mandat n’est d’ailleurs pas à exclure. Poutine lui-même est sorti du chapeau par anticipation le 31 décembre 1999, quand il succède à Boris Eltsine.
Qui sont les candidats crédibles pour prendre la suite ?
On ne peut faire que des spéculations, une dizaine de noms circulent, comme Dmitri Medvedev, Premier ministre, qui a déjà été président par intérim. La conviction générale est que l’éventuel nouveau premier ministre à partir de mai ne sera pas le successeur. Celui-ci émergera à partir de 2020-2021. Il y a des réformes importantes et pas forcément très populaires – comme le relèvement de l’âge de départ à la retraite, ou la refonte du système de protection sociale – à réaliser avant. Faire sortir le successeur du bois trop tôt compromettrait sa popularité.
Pourquoi ce discours très offensif le 1er mars, dans lequel Vladimir Poutine vante les nouvelles armes nucléaires russes ?
Il y a eu en réalité deux discours ce jour-là : une première partie pour les Russes, presque occultée par les médias occidentaux du fait de cette sortie stupéfiante dans la forme du président, et une deuxième partie qui était adressée au Pentagone. Celle-ci n’est pas forcément annonciatrice d’une nouvelle course aux armements, elle a plutôt pour objectif de convaincre les Américains de revenir à la table des négociations et de sortir de leur logique unilatérale.
Maintenant, la première partie, aux tonalités plutôt libérales et réformatrices, est également très marquante. Poutine a exposé un programme de modernisation tous azimuts et de numérisation de l’économie russe. Il pense que la Russie ne doit plus perdre de temps, ne serait-ce que pour rester une grande puissance ; mais dans son esprit, modernisation et libéralisation économique ne sont pas nécessairement synonymes de rapprochement avec l’Occident, d’où cette deuxième partie de discours.
Pavel Groudinine, le candidat communiste, pourrait arriver en deuxième ou troisième position lors du scrutin. Y a-t-il encore une nostalgie de l’époque communiste ?
Oui, notamment chez l’ancienne génération. Il est difficile de faire la part des choses entre passé fantasmé ou reconstruit, mémoire sélective ou, plus simplement, nostalgie de la jeunesse. Il y a eu bien sûr des aspects positifs dans l’URSS de la perestroïka, en particulier une forme de sécurité sociale, surtout en contraste avec le passage au capitalisme des années 1990.
Ceci dit, les gens ont la mémoire courte : ils regrettent le plein-emploi mais ne veulent pas se souvenir des heures de queues dans les magasins pour acheter de la nourriture en 1990-91. Cette nostalgie n’est pas majoritaire, mais c’est un facteur à prendre en compte. Le pouvoir joue d’ailleurs parfois cette carte : Vladimir Poutine a ainsi récemment déclaré qu’il aurait aimé pouvoir empêcher la chute de l’URSS. Et l’une de ses premières décisions avait été de réinstaurer la musique de l’hymne soviétique, en effaçant au passage les références au communisme dans les paroles.
Tweet du candidat communiste Groudinine, rendant hommage à Lénine lors d’une visite à Novossibirsk, en Sibérie.
L’opposant Alexeï Navalny, dont la candidature a été invalidée, aurait-il pu être un danger électoral pour Vladimir Poutine ?
Il aurait fait selon les sondages entre 3 et 5 %. En toute hypothèse, il n’a aucune chance d’être président. Dans ces conditions, pourquoi s’acharner sur lui ? Pour le Kremlin, la question n’est pas là. Il s’agit de neutraliser toute menace réelle ou virtuelle. Et dans le cas de Navalny, clairement, elle est virtuelle sur le plan électoral. Mais il est pris au sérieux par le pouvoir car il joue sur des thèmes qui peuvent potentiellement prendre dans la société russe : la lutte contre la corruption et le nationalisme. L’entourage de Poutine ne sait pas comment ça peut évoluer, alors dans le doute, il serre les boulons et l’empêche de candidater. Mais imaginer une seconde que Navalny puisse avoir une majorité relève de la science-fiction.