Crise en Tunisie: «La transition démocratique est un modèle, mais cela ne donne pas à manger»
INTERVIEW Le politologue Hasni Abidi, spécialiste du Maghreb, analyse pour «20 Minutes» la contestation économique et sociale en Tunisie…
- Un mouvement de contestation ébranle la Tunisie depuis une semaine, avec un mort et 800 arrestations.
- Le président Béji Caïd Essebsi rencontre ce samedi les partis au pouvoir, les syndicats et le patronat pour tenter d'y mettre fin.
- Le politologue Hasni Abidi craint que «sans réponse économique aux difficultés, la transition politique ne passe à la trappe».
Sept ans après le renversement de la dictature de Ben Ali, la Tunisie se retrouve en pleine crise, du fait d’un mouvement social lié à l’entrée en vigueur de la loi de finances 2018, qui prévoit des hausses de prix « douloureuses » mais nécessaires pour réduire le déficit budgétaire, selon le président Béji Caïd Essebsi.
Ce dernier rencontrait ce samedi les partis au pouvoir, les syndicats et le patronat pour tenter de mettre fin à une contestation populaire qui a fait un mort et provoqué l’arrestation d’environ 800 personnes depuis une semaine. Le politologue suisso-algérien Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève, qui publiera en février Moyen-Orient : Le temps des incertitudes (éditions Erick Bonnier), détaille la situation tunisienne auprès de 20 Minutes.
Quels sont les principaux problèmes socio-économiques en Tunisie ?
Ils sont énormes. Le pays, depuis les événements de 2010-2011, n’a pas trouvé la parade aux difficultés économiques et sociales. La dégradation de la situation sécuritaire a laissé des traces sur l’attractivité économique de la Tunisie - on a constaté une forte baisse des investissements - ainsi que sur le tourisme, ressource importante de devises.
La situation très difficile de son voisin libyen, grand employeur de main-d’œuvre tunisienne, explique cela aussi. La situation s’est même inversée, la Tunisie est devenue une échappatoire pour de nombreux Libyens, qui sont environ un million en Tunisie. Enfin, il y a une certaine indifférence de l’Europe et de la communauté internationale devant les demandes de soutien économique.
Les Tunisiens, confiants dans la transition politique, expriment un ras-le-bol général face à cette dégradation économique. La classe moyenne s’appauvrit, le chômage dépasse officiellement les 30 % chez les jeunes, l’inflation est importante (6 %). La loi de budget 2018 est l’étincelle : les Tunisiens ont le sentiment d’atteindre une limite et se questionnent sur cette loi qui les appauvrira.
Les contestations sont habituelles en janvier dans le pays, et le calme est revenu depuis jeudi. Est-ce la fin de la crise ?
Depuis les événements du Printemps arabe, le mois de janvier est devenu synonyme de protestation en Tunisie. Il y a effectivement un essoufflement, du fait de l’appel à la retenue d’une part du parti Ennahdha, qui a une assise très importante, et d’autre part de l’Union générale tunisienne du travail, la centrale syndicale.
Il y a eu une accumulation de grèves et de manifestations au sein du territoire. Il y a un coup de fatigue certes, mais on est loin quand même de la fin du mouvement, dans la mesure où les conditions qui ont poussé la jeunesse dans la rue sont toujours là. Le président de la République n’est sorti de son silence que ce samedi, ce qui est problématique, car le pouvoir répond tardivement à ces plaintes.
Cette crise peut-elle ébranler la transition démocratique ?
La Tunisie est incontestablement le seul pays « rescapé » des Printemps arabes, mais le prix à payer est très lourd sur le plan économique : il est l’otage de l’influence de plusieurs Etats, et le voisinage de la Libye ne facilite pas une transition douce, mais la Tunisie a eu le mérite de faire sa transition politique dans l’ordre. Sur ce plan, c’est un modèle, mais cela ne donne pas à manger. Sans réponse économique aux difficultés sociales des Tunisiens, la transition politique risque elle aussi de passer à la trappe.